lundi 30 avril 2007

Prix spécial du Jury du meilleur magazine 2007 pour Les Nouvelles de Kaboul

Certains d'entre vous savent que j'étais en Afghanistan pendant près de deux ans et demi pour aider et soutenir au développement des medias locaux indépendants. Parmi mes différentes activités à Kaboul (directeur de l’agence Aina Photo et directeur pays adjoint de l’ONG Aina), j’exerçais également la rédaction en chef de la revue bilingue Les Nouvelles de Kaboul – New Afghanistan. J’ai aujourd’hui le plaisir de vous annoncer que le dernier numéro vient de recevoir le Prix spécial du Jury du Palmarès 2007 délivré par le Syndicat de la Presse Magazine et d’Information (SPMI). Ce numéro, sorti en novembre dernier, tire un portrait du pays cinq ans la libération de Kaboul.
A voir le palmarès 2007 sur le site de la SPMI : http://www.spmi.info/index.php?idPage=353.
L’avis du Grand jury : « Un symbole et une aventure personnelle. L’initiative du photographe Reza soutenue bénévolement par de grands journalistes français trouve une fin en apothéose avec le dernier numéro, exceptionnel, des Nouvelles de Kaboul de novembre 2006 sur l’évolution de la société afghane et le long processus de reconstruction ».
Je tiens à renouveler mes remerciements les plus chaleureux à toute l’équipe de grands journalistes – tous bénévoles pour l’occasion- qui ont contribué à la réalisation de ce numéro : Alain Genestar (rédacteur en chef invité), Alain Mingam (rédacteur en chef photo invité) ; à la rédaction : Olivier Weber (Le Point), Michel Peyrard (Paris Match), Brigitte Bragstone (Le JDD), Adrien Jaulmes (Le Figaro), Faheem Dashty (Kabul Weekly); Georges Wolinski (Charlie Hebdo, Paris Match, JDD) pour les illustrations et Marc Longa (VSD) pour la direction artistique ; à la photo, toute l’équipe d’Aina Photo. Mais aussi, Karine G. Barzegar (TV5), Sarah Halifa-Legrand (Le Nouvel Observateur), Anne Le Troquer (RFI), ainsi que Mina Rad à la communication et James Wendlinger à la coordination de rédaction. Et, bien évidemment, un remerciement tout particulier à Reza (éditeur, initiateur du projet et président d’Aina) et à Rachel Deghati, à qui Aina doit beaucoup.
Pour ceux qui le souhaite, ce numéro est toujours disponible au bureau d’Aina World à Paris. email : communication@ainaworld.org. N’hésitez à me donner vos impressions. Bonne lecture.

A voir aussi sur Aina :
http://www.ainaworld.org/
http://www.ainaphoto.org/

jeudi 26 avril 2007

Appel à la libération des cinq volontaires de Terre d’enfance pris en otage en Afghanistan

Alors que l’échéance posée par les Talibans arrive à son terme dans deux jours, nous lançons un appel aux ravisseurs pour la libération des cinq volontaires de l’association Terre d’enfance. Cet appel est soutenu et relayé par de nombreuses organisations humanitaires, dont celles qui œuvrent ou ont œuvré en Afghanistan.
Eric et Céline, de nationalité française, ont été capturés le 3 avril dernier avec Azrat, Hashim et Rasul, leurs trois collègues afghans, dans la province de Nimroz (sud-ouest de l’Afghanistan). Tous contribuaient à un programme de soutien éducatif aux populations défavorisées de la province, où Terre d’enfance est active depuis 4 années.
Depuis 25 ans, des hommes et des femmes de toutes nationalités, au sein d’ONG, agissent aux côtés des Afghans, de tous les Afghans, pour soulager les souffrances générées par les conflits qui se sont succédés.
Sans discrimination au sein de la population, le travail des ONG en Afghanistan s’est toujours réalisé, et se poursuit aujourd’hui, au service des Afghans.
A travers leur présence en Afghanistan et leur action, Eric et Céline entendaient marquer leur solidarité avec le peuple afghan, et ni eux, ni leurs collègues afghans ne sauraient être tenus pour responsables de l’intervention de forces armées.
C’est pourquoi nous implorons les ravisseurs de laisser la vie sauve à ces cinq volontaires et demandons aux autorités locales et nationales afghanes de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir leur libération.
Paris, le 26 avril 2007

Antoine Vuillaume
Président de Terre d’enfance

Premières organisations co-signataires :
- Médecins sans Frontières
- Aide Médicale Internationale
- AFRANE (Amitié Franco-Afghane)
- MADERA
- Afghanistan Demain
- Aïna
- Enfants du Monde – Droits de l’Homme
- Médecins du Monde
- Action Contre la Faim
- Solidarités
- Handicap International
- Architecture et Développement

Contact : Terre d’enfance – 01 43 49 53 77 – tde.soutien@free.fr http://terre.enfance.free.fr

dimanche 15 avril 2007

Au pays des Maharadjahs du 16 au 30 avril 2007

Chers amis,
Je suis au Rajasthan avec un saut à Rishikesh (nord) et à Delhi du 16 au 30 avril. Un programme haut en couleurs particulièrement chargé qui s'étale sur deux semaines avec plusieurs centaines de kilomètres à parcourir. Au menu, visites des plus luxueux et époustouflants palaces des Maharadjahs à travers tout le Rajasthan (Jaipur, Jodhpur, Udaipur...), la découverte de forts ambiance "désert des Tartares" comme à Jaisalmer, des rencontres avec des sâdhus et d’autres étonnantes personnalités. Sans oublier une petite virée à dos de chameau, histoire de me rappeler ce que c’est d’être sur le dos de quelqu’un qui a le même caractère que moi ! Demander plutôt à ma femme ! A très bientôt donc avec de nouvelles chroniques, cette fois-ci indiennes.
(Photo: Allez, en selle!, plage de Karachi, Pakistan, mars 2006).

samedi 14 avril 2007

Une vidéo montre les deux Français otages des taliban

Posté de Paris,
Je fais suite au message précèdent concernant la prise d’otages des deux volontaires de l’organisation Terre d’Enfance. Je copie plus bas la dépêche AFP pour votre information.
Sachez que cette nouvelle prise d'otage en Afghanistan s'est produite alors qu'enfle la polémique sur les conditions et les conséquences de la libération du journaliste italien du quotidien La Repubblica, Daniele Mastrogiacomo. A lire "Afghanistan : "Un reporter contre cinq chefs taliban", l'échange qui pose question": http://www.leblogmedias.com/archive/2007/03/26/afghanistan-un-reporter-contre-cinq-chefs-taliban-l-échange.html#more. Libéré et vivant certes, mais à quel prix! Terrible situation à vivre pour le journaliste italien et les familles des deux victimes -le fixer et le chauffeur-, horriblement exécutés par des Taliban.
Je continuerai à suivre cette actualité et à vous poster des nouvelles sur ces deux sujets.
En attendant, j'adresse mes voeux de sympathie aux proches des otages français et afghans. Et leur souhaite à tous beaucoup de courage, en espérant très bientôt le soulagement d'un heureux dénouement pour tout le monde.

MONTRÉAL (AFP) - Les deux volontaires français de l'ONG Terre d'enfance, otages en Afghanistan depuis 10 jours, sont apparus pour la première fois depuis leur enlèvement dans un enregistrement vidéo obtenu par la chaîne canadienne CBC dans lequel ils plaident pour avoir la vie sauve.
La chaîne canadienne n'a toutefois pas diffusé l'enregistrement vidéo des deux otages, se contentant de montrer d'eux des images fixes pour respecter sa politique éditoriale en la matière.
Les images montrent une jeune femme portant un foulard sur la tête, disant dans un murmure qu'elle est une volontaire humanitaire française kidnappée par les talibans il y a 10 jours et demandant à avoir la vie sauve, affirme la chaîne canadienne. Un peu plus loin dans la vidéo, un homme disant s'appeler Eric lance un appel similaire à celui de la jeune femme. Les deux otages semblent "parler sous la contrainte", indique la chaîne.
La CBC n'a pas précisé comment elle avait réussi à mettre la main sur ce premier enregistrement des deux otages français, enlevés par les talibans avec leurs trois accompagnateurs afghans dans la province de Nimroz (sud) le 3 avril dernier.
La vidéo montre aussi trois hommes afghans enchaînés et portant un bandeau sur les yeux. Il s'agirait du chauffeur et des deux traducteurs qui se trouvaient avec les deux français lors de leur enlèvement. A la fin de l'enregistrement, on aperçoit des hommes lourdement armés ainsi qu'une femme voilée tenant ce qui semble être une arme automatique.
Selon le correspondant de la chaîne en Afghanistan, Chris Brown, l'enregistrement aurait été réalisé "très récemment". La chaîne canadienne affirme que les autorités françaises ont confirmé qu'il s'agissait bien des deux otages français.
La diffusion de ces premières images des deux otages français de l'ONG Terre d'enfance depuis leur enlèvement survient le jour même où le président français Jacques Chirac a demandé le "soutien" de son homologue afghan Hamid Karzai pour assurer la libération des deux volontaires, selon la présidence afghane.
Hamid Karzai lui a répondu que les autorités afghanes faisaient "tout leur possible pour assurer la libération" des deux volontaires et de leurs trois accompagnateurs afghans enlevés par les talibans dans la province de Nimroz (sud) puis, selon les autorités locales, transférés dans celle voisine d'Helmand, place forte des insurgés.
Aucune demande n'a jusqu'à présent été publiquement présentée par les talibans. Les talibans détiennent par ailleurs depuis le 27 mars une équipe médicale de cinq Afghans et ont menacé de tuer dimanche un de leurs otages si leur revendication n'était pas respectée. Ils ont réclamé la libération de certains de leurs militants prisonniers.
Cette affaire intervient alors que M. Karzai est dans une position très délicate après avoir accepté de relâcher cinq prisonniers talibans pour la libération le 19 mars du journaliste italien Daniele Mastrogiacomo, mais dont l'interprète afghan a été décapité le 8 avril faute d'un accord similaire.

mardi 10 avril 2007

Des bénévoles de l’association Terre d’Enfance en danger en Afghanistan

L’engagement humanitaire est un combat de tous les jours et n’est pas sans danger. Même si parfois, les critiques fusent à l’encontre des activités des ONG et de leur gestion, sur le terrain, les bénévoles font un travail de fourmi incroyable, magnifique, difficile et dangereux à la fois. Et ce bien souvent loin de tout et de tout le monde. C’est le cas de l’association Terre d’Enfance au Nimroz, une province éloignée du sud-ouest de l’Afghanistan.

De mon engagement récent en Afghanistan, j’ai eu l’occasion de faire connaissance avec quelques uns des bénévoles de cette modeste association française.
L’un d’entre eux est devenu un ami et a piloté sur le terrain le projet de construction et le développement du centre pour enfants de Zaranj. Aujourd’hui, pour des raisons de confidentialité souhaitée par l’association, je ne sais pas encore si mon ami fait parti des deux humanitaires français pris en otage avec leurs trois collègues afghans. A lire : http://www.rfi.fr/actufr/afp/001/une/070405082926.xorn78pj.asp

En attendant l’espoir d’une bonne nouvelle où les cinq otages seraient libérés sains et sauf, je vous encourage à prendre connaissance des activités de l’association Terre d’Enfance. Visitez son site Internet : http://terre.enfance.free.fr/. Un message ou un geste de soutien apporte toujours du réconfort, surtout dans ces moments particulièrement difficiles et critiques. Merci pour ses bénévoles qui œuvrent à la construction d’un avenir meilleur de centaines d’enfants afghans.

lundi 3 janvier 2005

Tout le monde est sur les dents!

Peace and Love
Qui ne le sait pas, l'Afghanistan produit des centaines de milliers de tonnesd'opium par an - 4200 selon le rapport 2004 des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), soit 87 % de la production mondiale. Ce qui est sûr c'estque pour les Afghans le « Flower power » de nos aînés soixante-huitards occidentaux a une toute autre signification et un autre goût. Il sent le billet vert et l'air des montagnes de dollars facilement gagnés. A chacun son tripe. Mais si le paradis artificiel - qui se transforme vite en cauchemar - fait enparticulier tourner la tête des toxicos d'Europe, il fait aussi de plus en plus grincer des dents de planteurs de pavot afghans ces derniers temps. Les fermiers afghans ont peur de voir débarquer en pleine nuit chez eux manu militari des boys américains surarmés et tendus comme des arcs prêts à tirer leurs flèches. Et la pression monte dans des régions comme le Nangarhar (est du pays à la frontière avec le Pakistan). Arrêter les fermiers et détruire leurs plantations est une chose, mais quelle alternative est proposée afin de permettre à une famille afghane de survivre quand le blé rapporte dix fois moins à l'hectare que la culture de l'opium dans un pays appauvri par vingt trois années de guerres. On parle de substituer les champs de pavot par des tapis de roses afin d'en extraire l'essence pour la commercialiser en parfumerie. D'un paradis à un autre, il n'y aurait qu'un pas mais qui semble bien loin à franchir pour l'instant.

Peur sur la ville
Si d'un côté, des commandos U.S. et Britanniques sont sur le front de la lutte anti-drogue, d'autres Américains ont pour consignes de bien se terrer dans leur compound et d'y rester enfermé comme dans un bunker. Pour preuve de la terreur qui plane au-dessus de leur tête, voici le contenu d'un email (à lire attentivement jusqu'à la fin) qui date du 25 décembre dernier, émanant du vice-consul de l'ambassade des Etats-Unis à Kaboul : « The U.S. Embassy in Kabul reminds American citizens living and traveling in Afghanistan that potential remains for attacks, particularly in the form of suicide bombings and kidnappings, against U.S. citizens and interests in Afghanistan. The Embassy is particularly concerned about the increased possibility of suicide threats in Kabul and throughout Afghanistan during the Christmas holiday season. The Embassy has received information about a specific suicide threat against foreigners in Kabul. According to the information, a Pakistani militant travelled to Kabul to conduct a suicide bombing on the road from Shah Massoud intersection to KAIA (Great Massoud Circle to the Airport) on December 25th-26th. The terrorist carries 1.5-2kg of explosives on him and has no vehicle. He plans to get in front of foreign-driven vehicles and then explode the bombs. No further information is available at this time.»
Dans la foulée, un autre email m'est parvenu par le biais d'une des nombreuses antennes des Nations Unies, qui délivre des informations « assez » ! précises : "Reports have indicated that the potential attacker (suicide bomber) is a male operating alone with approx 2 kgs of explosives attached to him. Base onreports and investigations ISAF have provided some characteristics features (non exhaustive list, and not all described features must be necessarilyaccomplished at the same time) of potential suicide attackers, which could beuseful in order to recognize a potential threat..
  • 95% of suicidal attackers, (BBIED, VBIED) there was a single attacker in thevehicle.
  • Wearing bulky clothing.
  • Wearing sunglasses.
  • Sweating, agitated.
  • Elated, smiling, happy.
  • Mumbling, reciting the Koran passages.
  • Protecting genitals.
  • Freshly shaved, short hair.
  • Visibly altered appearance.
  • Marking on forearms.
  • Holding onto something, clenching fist.
  • Wire or toggle protruding from clothing/bag.
  • Cuts in clothing/bag».

Après cette énumération qui a de quoi rendre parano quiconque met les pieds dans la rue, votre humble narrateur tient tout de suite à vous rassurer : je veille àm'écarter de toute personne qui portent des lunettes de soleil en pleine journée et qui a les cheveux courts! C'est marrant, c'est à peu de chose prêt le portrait robot des mercenaires, en particulier ceux employés par la société DynCorps (cf Chroniques du 6 octobre 2004), en vadrouille en ville. Dire qu'en prime ils portent de façon bien ostentatoire leurs armes aux poings et le pistolet dans les porte-flingues.

« Jeux interdits »
Les Afghans adorent les combats en tout genre et en Afghanistan ce n'est pas ce qui manque. En un rien de temps on comprend que tout est prétexte à la bagarre. Les Afghans aiment donc se défier et se mesurer à l'autre. Ca passe autant par la lutte gréco-romaine que par les combats de cerfs-volants. Si le cerf-volantest gracieux dans sa danse aérienne, il n'en reste pas moins un instrument de jeux dangereux par les enfants eux-mêmes. Ils enduisent la ficelle d'un mélange de colle et de limaille, ce qui en fait un fil armé, paré à trancher tout ce est sur son passage comme du beurre. En premier, les cordes des autres cerfs-volants en rabattant brusquement l'oiseau de plastique sur un autre. Mais aussi d'après ce que l'on m'a dit, des têtes de personnes qui ont le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment quand les cerfs-volants entament une subite embardée suite a un coup de vent.

On ne fait pas d'omelette afghane sans casser des oeufs
Des combats il y a aussi ceux plus classiques des coqs et des petits oiseaux comme on trouve beaucoup en Asie. Mais également des oeufs de poules. Dans la rue, ces oeufs de combat, préalablement bouillis, sont facilement reconnaissables parce que peints en rouge ou jaune pour les rendre plus attractifs dans les paniers. Ils coûtent généralement 5 afghanis pièce (moins de 0,08 euro cent). Le but dujeu, élémentaire, consiste pour deux adversaires à choisir un oeuf et à chacun à son tour de frapper l'oeuf de son adversaire. Tout repose donc sur le choix minutieux du « bon » oeuf. La partie tient donc en deux rounds. Celui qui se fait casser son oeuf paye l'addition pour les deux et le vainqueur repart avec son œuf intact et celui cassé pour le manger. Ca n'a rien de vraiment impressionnant mais cela a le mérite de beaucoup amuser les Afghans qui en sont très friands. Plus spectaculaire sans doute, sont les combats de chameaux qui se tiennent dans la région de Mazar-e-Sharif dont j'ai entendu parlés, mais auquel je n'ai pas pu assister. Du même genre, et assez brutal sont les combats de chiens (Sag jangi, en dari) qui attirent des centaines de personnes en plein Kaboul. Et l'hiver est la saison, non pas de la chasse, mais des combats. Ils ont lieu le vendredi, jour férié pour les musulmans. Cette fois c'est dans le quartier de Shaman-e-Babrak au Nord de la capitale que les duels sont organisés.

Les Afghans sont « à crocs »
De la rue, j'aperçois une foule immense regroupée au beau milieu d'un misérable terrain vague poussiéreux. A quelques dizaines de mètres j'entends déjà les aboiements graves de ce qui m'a tout l'air de ne pas être des Yorkshire de salon et autres petits chiens à sa mémère. Un peu méfiant, impressionné mais attentif, je me rapproche de la foule, la perce et me retrouve au milieu d'une arène improvisée au milieu de laquelle se déroule le spectacle.
Là, une vingtaine de chiens costauds sont la vedette du jour. Solidement tenues en laisse par leurs propriétaires à l'aide de larges cordes, les mastodontes canins ne demandent qu'à bondir pour choper le voisin le plus proche. La gueule large et la charpente trapue et musculeuse, ces bouledogues sont apparemment nés pour se battre. Tout autour d'eux, le public, uniquement masculin et constitué de centaines de personnes, fait le pied de grue dans l'attente du prochain match. Enroulés dans un patou (longue pièce de tissue), turban ou pacol (chapeau traditionnel surtout porté par les Nouristanais et les Tadjiks afghans) vissés sur la tête, longue barbe blanche ou noire de jaie, soigneusement taillée et parfois colorée au henné, la galerie de portraits des spectateurs est digne d'une superproduction hollywoodienne.
Show must go on
Au cour des rixes, le speaker, Khalail, célèbre pour l'organisation de combats de chiens, fait son show. A l'aide d'un porte-voix et de son sifflet, le vieuxbonhomme enturbanné, suivi comme un petit chien par son assistant, distille ses paroles de crieur populaire pour amuser la foule. Et en guise de distraction supplémentaire, il fouette l'air et les gêneurs sur son passage avec son bâton, à mi-chemin entre le tue-mouche et la cravache. Comme j'essaye de coller au plus prêt de l'action, je me retrouve forcement dans lec ollimateur du père fouettard afghan, ce qui, bien sûr, fait marrer tout le monde. Mais vu que je ne me laisse pas intimider il passe son chemin. Bon, ilfaut dire aussi qu'il m'a quémandé à plusieurs reprises de l'argent pour m'accorder le droit de prendre des photos. Je feins de ne pas comprendre cequ'il veut, même s'il frotte bien clairement sous mes yeux son pouce et son index pour me tenter de me faire cracher quelques billets. Inflexible, je joue la carte de la patience. Et le spectacle continue.
Au menu : 15 oeufs et 2 kg de barbaque par jour
Avec les propriétaires les chiens, Khalail le speaker choisit les clébards demême catégorie pour un combat, comme à la boxe. Une fois les deux chiens sélectionnés, ils sont placés l'un en face de l'autre sépare par un drap vert mis en travers le temps de les préparer et de retirer leur harnais. Au signal, le drap est abaissé et les deux molosses bondissent l'un sur l'autre tout de go. Le premier choc frontal est violent et émet un son lourd sous les cris et les gloussements de la foule ravie. Les chiens sebattent avec hargne, jusqu' à l’épuisement, la bave et l'écume aux commissures des gueules. J'entends encore le râle de leur respiration, accélérée par l'effort et leur rage.
Sans détails, ils se chopent à la tête, aux oreilles ou encore au cou. Le sang fait parfois son apparition par petites touches comme de grosses gouttes de sueur. A y regarder de plus prêt, je remarque aussi sur la plupart des cicatrices des combats précédents sur la tête et le museau. Les yeux révulsés, l'un des chiens reste au tapis, K.O. mais toujours solidement maintenu par son adversaire. Les propriétaires des chiens sont obligés de les séparer avec de l'eau fraîche. Et le perdant, agonisant, a le droit de s'en prendre une giclée supplémentaire, histoire desortir d'un demi coma. Les pupilles dilatées, il repart finalement au bout de quelques minutes, hagard et titubant sur ses pattes, aidé par son maître àquitter l'arène. De son côté, Chagher, le vainqueur, est portée en triomphe parson maître Jalal. Survoltée, Jalal originaire d'Istalef, un village situé à 1 heure deroute au Nord de Kaboul, lance au-dessus de lui une liasse d'Afghanis qui déclenche un mouvement de foule. L’argent et l'euphorie retombés, Jalal medit, fier comme Harpagon, que son « poulain » reste une fois de plus invaincu. Et ce matin, il aurait empoché 10 000 afghanis (près de 150 euros) avec cette nouvelle victoire grâce aux paris. Une valeur sure donc mais qui demande beaucoup d'attention. Jalal me détaille le régime alimentaire impressionnant de son molosse : pas moins de 15 oeufs par jour et 2 kg de barbaque de vache, plutôt l'intérieur et pas les meilleurs morceaux, plus chers bien évidemment.
Plutôt un chien qu'une voiture
Remplir la gamelle d'un bouledogue de combat représente malgré tout un sacré budget surtout pour le pays. Mais ça n'empêche pas que les propriétaires tiennent à leur chiens comme à la prunelle de leurs yeux et que de s'en séparer équivaut à un immense sacrifice. Même contre une voiture japonaise me dit-on, certains refusent de l'échanger. La cote de ces bons toutoux peut monter même àplusieurs milliers de dollars. Ce qui rend d'autant plus animé les combats, que ce soit du côté des chiens mais aussi des propriétaires. « Il faut faire attention, c'est dangereux me confie Yemak, un photographe afghan qui m'accompagne. C'est un vrai casino ici et les gens parient beaucoup d'argent. Alors ils ne rigolent pas ». Ok, je ne fais pas le malin et je prends pour argent comptant ces conseils. C'est vrai que l'on sent que l'ambiance est électrique. Lors des duels, les coachs virevoltent autour en criant, sifflant, caressant leur protéger, parfois tentant de le bousculer pour booster leur étalon, l'énerver, le relancer dans la bagarre alors qu'il est pris au collet. Et lorsqu'un propriétaire, un peu trop inquiet, tente d'interrompre une partie, souvent parce que son chien est en mauvaise posture, on frise la bagarre générale. J'ai vu un propriétaire mécontent fondre sur son adversaire, ce qui a eu pour effet de déclencher l'attroupement d'une marée humaine au beau milieu de l'arène. En quelques minutes, la confusion et la pression retombe, grâce à l'intervention de policiers qui distribuent à tout va des coups de matraques, en un peu plus vif que le vieux speaker. On sépare les hommes et les bêtes et tout rentre dans l'ordre pour le prochain combat. Wouf !

mardi 14 décembre 2004

Dans la vallée du lion du Pandjshir

Dis tonton pourquoi tu tousses ?
Bien avant mon arrivée en Afghanistan on m'avait prévenu, « Tu verras, Kaboul estune ville polluée et très poussiéreuse ». Preuve en est, il est très facile de croiser aux coins des rues des vendeurs de masques dits « de chirurgien ». Des piétons aux cyclistes en passant par les agents de la circulation aux carrefours des rues de Kaboul, le masque est à l'ordre du jour. Tu parles d'un exotisme ! On peut en acheter in situ pour 5 afghanis pièce (10 centimes d'euros). Et c'est un bon business pour le jeune Mohammed Bachir (photo à gauche) qui me dit qu'il en vend près de 200 par jour. Chiffre d'affaires brut quotidien : près de 15 euros! Même s'il doit les payer pour se les procurer, ça lui laisse une marge plutôt confortable dans un pays où le salaire mensuel moyen plafonne à 2 500 afghanis (40 euros). Ce qui n'est pas besef surtout lorsque l'on regarde les prix du détail du coût de la vie quotidienne: le traditionnel non (à prononcer none et qui veut dire pain) coûte 4-5 afghanis, 1 kg de riz 40, le kilo de viande de mouton 180 et 1 litre de diesel, 23. Sans parler du coût de la location d'une maison pour une famille de quatre personnes qui tourne facilement autour de 1 000 afghanis par mois. Et l'on devient une sorte de privilégié lorsque l'on dispose de l'eau courante et de l'électricité à la maison. L'électricité est une denrée précieuse qu'il vaut mieux se procurer soi-même, l'EDF local ayant bien souventdes rater dans Kaboul même. Alors chacun y va de son générateur, du mastodonte surpuissant et assourdissant au petit d'appoint facilement transportable. Ces petites bêtes ronronnantes traînent sur les trottoirs de la ville, devant les boutiques qui font tourner du matériel électroniques, ordinateurs, photocopieurs, etc. Système D oblige.

Les Nuits parisiennes
Kaboul se reconstruit doucement. Après tant d'années de guerre et de destructions - pastant par les Soviétiques que par les Afghans eux-mêmes pendant leurguerre civile, de 1992 à 1996- Kaboul se redresse timidiment et renaît de ses cendres. Sur le boulevard Taïmani de la nouvelle ville, les squelettes de béton des nouveaux immeubles se succèdent presque de façon monotone. L'originalité n'est pas à l'ordre du jour. L'heure est avant tout à l'efficacité. Mais quelques exceptions dénotent dans le paysage comme le Sham-e-Paris Restaurant avec ses façades chamarées, faites de fresques multicolores. Plus qu'un restaurant, le Sham-e-Paris est le nouveau haut-lieude Kaboul pour se marier. Traduisez "Sham-e-Paris" par "La nuit parisienne", un endroit où l’on vient en famille plus que pour s’encainailler tout de même. Avec ses trois vastes salons, le site peut accueillir en simultanémentplusieurs milliers de personnes. Rien que la plus grande salle peut recevoir jusqu'à 2 500 personnes. A 500 afghanis (10 dollars environ) par personne, le menu haut de gamme, la note est salée - plus de 18 000 euros - et l'on comprend tout de suite que l'endroit soit réservé à une certaine élite de la société afghane. Le Sham-e-Paris, qui a ouvert sesportes il y a à peine 3 mois, propose aussi de multiples services comme une guest-house dans laquelle les chambres sont toutes équipées de télévision satellite, de prise Internet avec connexion haut débit par stellite, de petite cuisine individuelle, etc. Tout le confort pour 50 dollars la nuit, petit-déjeuner inclus. Si ça vous tente, je vous réserve une chambre pour votre nuit de noce. Je devrais pouvoir vous obtenir un discount vu que j'ai sympathisé avec legérant de l'établissement. Et pour ces dames, vous pouvez même acheter votrerobe de mariée dans l'une des boutiques au rez-de-chaussée. On y va, on y va!!!

Bouffée d'oxygène au pays du lion du Pandjshir
C'est bien beau de faire des folies lors de longues nuits parisiennes et de picoler jusqu'à plus soif dans les bars pour expatriés. Il n'en demeure pas moins que rien ne remplace le spectacle de la mère nature. Après avoir passé plusieurs semaines downtown, est enfin arrivé le temps pour moi de planifier une virée de deux jours dans la vallée du Pandjshir avec trois autres amis. Une vraie bouffée d'oxygène. Départ de bonne heure à 6h30 du matin. Kaboul s'éveille à peine. Doucement le soleil darde ses timides premiers rayons dorés sur la tête des montagnes légèrement enneigées. Devant nous, déjà, la route file comme un cordon ininterrompu vers l'horizon, l'aventure et la liberté. Après le bitume, les nids de poules et les dos d'ânes, ce sont des pistes poussiéreuses qui nous attendent lors de la plus grande partie de notre escapade. Progressivement, la route se rétrécit pour finalement serpenter aumilieu d'une vallée escarpée tout le long de la rivière Pandjshir. Soudain, un barrage sorti de nulle part. Le checkpoint avec ses immenses grilles marque l'entrée au pays de Massoud l'Afghan. Son portrait en grand est là pour le rappeler à tous les visiteurs qui ne le saura pas encore. Partout, l'image du charismatique leader des Tadjiks afghans, impose ce profil saillant et noble à la fois. Un faciès devenu un symbole de résistance. Pourtant, il n'a pas pu réchapper à l'attentat meurtrier mené par deux faux journalistes arabes le 9 septembre 2001. Deuxjours avant le fameux 11 septembre qui a précipité l'intervention militaireaméricaine dans la région et la chute du régime des Taliban dans le pays.

Massoud Hill
A notre passage dans les villages, les regards sont curieux mais jamais inquisiteurs. Les Tadjiks du Pandjshir ont l'habitude de croiser des étrangers et en particulier des Français. Médecins et journalistes, beaucoup d'entre eux se sont rendus dans la région secourir un peuple téméraire et son chef Ahmad Shah Massoud, successivement en lutte contre les Soviétiques, les seigneurs dela guerre et les Taliban. Jamais vaincus, ces Tadjiks passent pour des irréductibles et leur vallée prend des airs de citadelle inexpugnable. Quand à nous, pas de souci et c'est la main sur le coeur que nous sommes accueillis chaleureusement par nos hôtes. Pas un endroit où l'on ne soit pas invité à prendre le thé, à manger et même à dormir. Ici, les enfants sont partout et courent dans tous les sens. Amusés par notre présence, ils nous quemandent de les prendre en photo. Tant de sourires, de bonne humeur et d'énergieque l'on en oublierait presque les tonnes de carcasses rouillées des tanks soviétiques qui végètent au cour de la vallée du célèbre Lion duPandjshir. Après plus de 20 années passées à se battre, Massoud repose dorénavant « en paix » dans un mausolée au sommet d'une colline qui porte son nom : «Massoud Hill». Comme nous, des visiteurs viennent se rendresur la tombe du héros, gardée par des soldats en armes et en treillis. Si pour nous, cette visite est de l’ordre de la curiosité, pour eux, c'est un véritable pèlerinage.

Et au milieu coule une rivière
A l'approche de l'hiver la vallée découvre un paysage aride. Mais magnifique. Sa rivière, limpide, donne l'envie de piquer une tête. Mais une fois les orteils trempés, on est vite dissuadé. Plus loin, dans la petite localité de Borak, on sympathise avec Rakhmat, un soldat au service dela milice du ministre de la défense marchal Fahim, un Tadjik. Le sourire aux lèvres ils nous proposent de nous pécher du poisson dans le Pandjshir et de nous le cuisiner. Comment refuser ! Et c'est avec des grappes de gamins papillonnant autour de nous que nous allons suivre notre ami à la pêche. Pas à la grenade,non comme nous l’aurions pensé, plein de mauvaise fois que nous sommes. Mais avec un filet artisanal. La technique de Rakhmat: s'enfoncer dans l'eau jusqu'à mi-cuisse, attendre que les enfants jettent des dizaines de cailloux dans la rivière pour rabattre les poissons vers lui avant de lancerson filet. Et ça marche. En moins d'une heure, il a attrapé au moinsune vingtaine de poissons qu'une demi-heure après on se fait un plaisir de déguster chez Mir Afghan, le maire de Borak, heureux papa de 14 enfants dont Saddat, 1 an et demi, la petite dernière. Difficile de se résigner à quitter l'hospitalité qui nous est offerte de rester encore plus longtemps, mais la longue route du retour pour Kaboul avant la tombée de la nuit est devant nous.

samedi 20 novembre 2004

Cet Orient aux contours improbables

La parenthèse
L’élection présidentielle est passée. Le temps est au comptage des votes. Ce qui n’est pas une mince affaire. Pendant ce temps, la vie a repris son cours « normal ». Les embouteillages, ces 4x4 flambants neufs qui doublent sur la file de gauche empiétant sur la file opposée, carrosserie blanche et vitres teintées noires. Là, on me dit que c’est le convoi de l’actuel ministre de la défense, le marchal Fahim (à gauche, lors d'un tournoi à Kaboul de buzkashi, le sport national équestre). Qu’il en profite parce d’après une rencontre lors d’une soirée un peu arrosée, un mercenaire me confie qu’il ne lui donne pas cher de sa peau dans les qq semaines à venir, le temps d’obtenir les résultats des élections. Ca sent le règlement de compte.

Au milieu du trafic surchargé et bruyant, j’aperçois au sol séparées à peine d’une dizaine de mètres l’une de l’autre, deux femmes accroupies au sol, sous leur tchadri bleu azur. Tout un symbole entre d’un côté une société figée, pauvre, et de l’autre, des symboles de modernité, synonymes d’un certain progrès qui passent à vive allure sans daigner s’arrêter, tout juste éviter ce qui « traîne » sur leur chemin.

« Tous ne sont pas des héros »
Parfois, je repense à ce bouquin de Joseph Kessel, « Tous n’étaient pas des héros ». Dans la vie, surtout lorsque l’on courre le monde, on fait des rencontres improbables avec des gens tout autant improbables. Tout comme ce soir là, ou grâce à une connaissance je me retrouve avec deux potes chez un British avec un accent à couper au couteau et à la dégaine de routier, bien loin du gentleman de chapeau melon et bottes de cuir.
Bières après bières… après bières…. Allez encore une, enfin, on ne les compte plus… les aventures fusent, surtout celles de Peter, un gars originaire du Pays de Gales, qui parle de sa femme somalienne dont le père est chef de tribu et le grand-père a assis le pouvoir de sa famille et fait sa fortune sur le brigandage. Joli tableau. Sans compter que le fameux Peter commence à me confier ses expéditions de soldats de l’ombre à la solde d’un gouvernement qui l’a laisse tombe au Tchad en pleine opération commando clandestine. Résultat, sur cinq partis, un est resté sur le carreau et les quatre autres ont endure plusieurs semaines de taules et de tortures avant d’être libère moyennant de sombres tractations… « Pourquoi tout ça ? » je lui demande tout de go. L’appât du gain. Il y a toujours des gouvernements prêts à payer à prix d’or des sbires pour aller au feu en toute clandestinité. Et il y a tant de gars au CV à faire pâlir les belles-mères pour accepter de belles liasses de pognon. Peter appartient a ce genre de type aux gros bras, qui n’ont pas froid aux yeux et qui affichent de bonne brioche quand ils approchent la quarantaine-cinquantaine. La panse bien imbibée par l’alcool, le rire volontiers puissant et carnassier, la plupart de ces spécimens « bandent » en lisant « Soldiers of Fortune », « The Journal of professional adventures » dixit son site Internet : www.sofmag.com.
La description est certes un peu caricaturale, mais il faut les voir pour le croire.

L’Orient à portée de main…
Au bout de la énième bière, il est temps de filer au « Beijing », sorte de bar interlope, à la lumière rouge blafarde avec au fond de la pièce un Home cinéma qui passe des clips vidéo ringards, façon Karaoké chinois. Normal après tout, on est dans une succursale du Pékin by night. Là, on croise un Afghan cuit qui file dans son lit escorté par deux brutes surarmés. De l’avis de notre compagnon de soirée, le gars qui titube est un gars haut placé au gouvernement afghan. Dire que l’alcool est officiellement interdit dans ce pays régit par la charia, la loi islamique. Mais comme partout, la loi s’applique surtout à ceux qui ne l’écrivent pas. En attendant, dans le bar aux loupiottes tamisées, deux types enlacent comme ils peuvent deux jeunes miss de la nuit. Deux papillons chinois qui ne demandent certainement qu’à s’envoler loin de tout ça…

Mange tes yeux !
Depuis le 15 octobre, c’est le début du Ramadan. Pour les non musulmans, ça signifie la fin des jeux de cartes à l’extérieur, pas de boisson ni de nourriture et de chewing-gum devant nos collègues Afghans la journée. Au bout de quelques jours, on s’y fait, tout est une question d’habitude. A 17h15, je vois nos amis Afghans sortir leurs assiettes et une plâtrée de riz, tout heureux de pouvoir enfin manger après 11 heures de jeun. On écrivant cela, il me revient en tête ce dicton afghan que Mariamme, une amie franco-afghane, m’a sortie un jour à propos de ce que l’on dit parfois avant de manger, « Qui c’est qui va manger, qui c’est qui va regarder ? »
De la même manière, elle me racontera aussi à quel point les Afghans sont durs entre eux. En pleine journée, après un léger accrochage entre deux voitures – tout ce qu’il y a de plus fréquent vu que beaucoup de chauffeurs roulent à tombeau ouvert en pleine ville - les curieux affluents autour de l’accident. Aussitôt, un flic pointe le bout de son nez et lance aux badauds : « Qu’est-ce que vous foutez la bandes de chômeurs ! Je vais vous en donner moi du travail ! Et toi, s’adressant à une petite fille toute mimi dans sa robe colorée, « Mange tes yeux et dégage de là ! ».

Chasse à l’homme en plein Ramadan
A Kaboul, la pression est remontée d’un cran avec l’enlèvement des trois employés des Nations Unies, une kosovar, une anglo-irlandaise et un philippin.
Des rumeurs d’abord. Un coup d’un seigneur de la guerre qui tente de sauver sa peau du jeu électoral qui ne lui ai pas favorable. Younous Qanuni ? Puis rapidement le nom de Fahim, ministre de la défense, vient en tête de liste, surtout que les kidnappeurs armés auraient utilisé une voiture appartenant à son ministère. Dernier baroud d’honneur pour Fahim, ce type qui un temps fut au côté du commandant Ahmad Shah Massoud dans la lutte contre les Soviétiques ? Ca ne semble pas insensé si je repense à ce que m’a dit Peter le mercenaire deux semaines auparavant « je ne lui donne pas plus de trois semaines à vivre » en parlant du marchal Fahim… Mais il ne faut pas oublier que les rumeurs sont une spécialité afghane. Difficile parfois de faire la part du vrai du faux dans ce pays si l’on n’a pas les preuves sous les yeux.
Finalement la piste de taliban voire de bandits semble la plus sérieuse. Avec effets d’annonce à l’appui. « Attention, pas de chasse à l’homme contre nous ou bien on exécute derechef les otages », menacent-ils. Depuis, l’affaire traîne en longueur après maints ultimatum de menaces de mise » mort des otages de la part des ravisseurs.

Kaboul s’éveille
Après avoir vécu pendant 1 mois au centre Aina en plein centre ville, j’ai déménagé dans une des deux guest-houses de l’association. Ce qui veut dire que tous les matins, vers 7h00 je traverse une partie de la ville pour aller au boulot. L’occasion de voir un peu plus Kaboul s’animer de bon matin, de doubler ces velos qui roulent paisiblement et de croiser la bourse du travail en face du cinéma Baharistan. Là, au bord de la route des grappes de dizaines d’hommes font le pieds de grues ou plutôt se recroquevillent sur eux-mêmes pour se réchauffer dans l’attente d’un « patron » d’un jour qui les paiera au maximum 200 Afghanis (4 dollars environ) la journée pour des travaux de peintures, ménages ou autre métier manuel. Un peu plus loin, le bazar s’anime déjà depuis 6h30 du matin, mais en été il s’éveille à 5h avec le levé du jour. Cinq heures, Kaboul s’éveille… Dès potron-minet, la lumière dorée, filtrée par la poussière ambiante, projettent les ombres des passants sur les murs flétris de la ville. Malheureusement, suite aux consignes de sécurités draconiennes qui nous sont imposées à nouveaux depuis l’enlèvement des employés des U.N., tous les matins on doit filer direct au centre et pas question de s’arrêter pour prendre des photos et flâner en ville à pieds. Quelle frustration. Patience nous dit-on. Et pour mettre encore plus d’ambiance, ce 8 novembre, à 22h10, la terre a bien tremblée sous nos pieds. Mais pas de dégâts apparemment d’après les nouvelles du lendemain. Enfin une bonne nouvelle!

lundi 11 octobre 2004

Voici les dernières nouvelles du front… Ici, c’est un vrai casse-tête !

Chroniques de Kaboul – 3e edition.

Sale temps a l’horizon !
Avis de tempête sur l’Afghanistan le 9 octobre prochain… Restez planqué, le temps que la tourmente passe… C’est le bulletin prévisionnel que nous annonçaient à la veille du scrutin les “Madame Soleil” et autres “météorologues” de la géopolitique. Mais, la rafale n’a pas eu lieu et rares sont les roquettes à être tombée du ciel. Ce 9 octobre 2004 a été pour ainsi dire calme, pour un pays comme l’Afghanistan après 23 ans de guerres et d’instabilité politique.
Pourtant, ce jour là, le temps était étrangement menaçant. La veille au soir déjà, après une belle journée ensoleillée de fin d’été, le vent s’est brusquement levé. Et la poussière avec, s’infiltrant partout dans les moindres recoins. En un rien de temps, le ciel de Kaboul est passé d’un bleu azur à une couleur sable. Les superstitieux pouvaient y voir un mauvais présage pour ces premières élections annoncées comme démocratiques. Dans l’ensemble on peut dire que… c’est mieux que si c’était pire!!!

Jour J
Les Humvee, ces larges véhicules militaires blindés américains, traversent la ville désertée sur les chapeaux de roue, mitraillette au vent. Plus un seul embouteillage, ni coups de Klaxon intempestif. La ville s’est vidée comme soufflé par un vent de sable. Seule reste la poussière et quelques âmes nomades, donnant à Kaboul une ambiance de farwest version Asie centrale.

C’est le Jour J pourtant. De bon matin, une poignée de journalistes font le pied de grue devant l’endroit où le président intérimaire Hamid Karzai est attendu pour voter. Bien évidemment, ne rentre pas qui veut. Il faut montrer patte blanche et surtout l’accréditation de presse. Fouille au corps de la tête aux pieds; chien renifleur d’explosif pour tous les objets annexes (téléphones portables, cameras, sacs, etc.), tout y passe… sauf les chaussures… Un point en moins messieurs de la sécurité. Pendant la fouille, l’ambiance est polie et, bien sagement, tout le monde se prête au jeu.

On n’a pas vraiment le choix à vrai dire. Sinon, c’est bye-bye Mister president.
Le seul moment de distraction lors de la fouille vient du chien de l’un de ces mercenaires aux gueules patibulaires de la DynCorps. Bien dressé et tenue en laisse courte, ça n’empêche pas pour autant le bon toutou à son papa de repérer sur le trottoir d’en face une chienne errante pour laquelle il semble avoir le béguin. Ses gémissements de mâle en rut en disent longs. Mais rien à faire. Indifférente, la chienne vagabonde passe son chemin. Juste de quoi décrocher un léger sourire aux lèvres des chiens de guerre en charge de la garde rapprochée du président afghan. Cheveux longs, petit bouc ou barbe hirsute façon hippie sur la route des Indes, tous les miliciens US n’affichent pas un look très règlementaire. Mais bon, on va laisser passer pour cette fois-ci, vu que les gros flingues, ce sont eux qui les ont! Alors moi, avec ma barbe de trois jours, je fais profil bas.

Pour quelques millions de dollars de plus
Une fois passé le service d’ordre, il faut savoir être patient. Car Hamid Karzai se fait attendre au bureau de vote très VIP, installé dans le bâtiment du Premier ministre. Quand soudain, l’agitation se fait sentir du côté des porte-flingues. Au loin, déboule a vive allure avec les pleins phares un convoi d’une dizaine d’énormes 4x4 made in USA et autres berlines aux vitres teintées. Freinage brutal, crissements de pneus et portières qui s’ouvrent brutalement pour voir s’éjecter de gros balèses aux lunettes de soleil noires, il n’y a pas de doute, le maître de cérémonie est bien arrivé. Rapides coups d’oeil à droite et à gauche des sbires. RAS (rien à signaler) ! La zone est sécurisée. L’homme des Américains peut enfin sortir de sa limousine noire.

Manteau traditionnel afghan jeté sur les épaules
et tout sourire avec sa barbe soigneusement taillée face au parterre de journalistes, Hamid Karzai soigne son image d’homme providentiel dans un pays en ruines et soumis à la loi des «saigneurs de la guerre». Les formules de politesse distribuées à la presse, il s’agit maintenant de voter. Quelques minutes suffisent et retour devant les medias en pleine bousculade pour décrocher la meilleure image et enregistrer les mots de celui qui est déjà donné gagnant des élections. La rencontre ne dure que quelques minutes. Et la fin du show est aussi rapide et efficace que l’entrée en scène. D’un seul coup, la pression retombe… Mais pas pour longtemps.
En milieu de journée, le scandale éclate. Les 15 candidats encore en lice contre le président sortant –deux s’étant désistées au profit de Karzai -, annoncent à l’unisson qu’ils boycottent les élections. L’objet du litige ? L’encre utilisée pour empêcher les électeurs de voter plusieurs fois n’est pas indélébile. Preuve en est, le cousin d’un des photographes de mon agence photo a voté onze fois pour le même candidat juste en se lavant les mains et en utilisant onze cartes de vote différentes. Le comble de cette histoire, c’est qu’il a voté à chaque fois pour Younous Qanoni, ancien ministre de l’éducation et challenger de Karzai, et est en l’occurrence l’un des leaders du groupe des contestataires. Sans aucun doute, on peut dire qu’ici la démocratie est ici encore une notion « fragile ». Dire que la facture de ces élections tourne autour de 150 à 200 millions de dollars et que tout peut capoter à cause de quelques litres d’encre soluble dans l’eau. Bienvenue en Afghanistan.

Show must go on
Quoiqu’il en soit, le dépouillage des votes est en cours. Les bulletins sont rapatriés en pick-up, en camions, en hélicoptères ou encore à dos d’ânes pour les régions montagneuses les plus reculées. A quand le résultat des courses ? Pas avant une à deux semaines nous dit-on. Malgré tout ce ramdam politique à l’afghane et ces associations « de malfaiteurs », ce qui m’enchante c’est de voir un peu partout ces enfants accrochés au bout des cerfs-volants. N’importe où, sur le toit des maisons ou en pleine rue, petits déjà ils apprennent à jouer avec les vents porteurs et à dompter ceux qui sont contraires. Certainement histoires de s’habituer lorsqu’ils seront plus grands aux volte-face de dernière minute…

mercredi 6 octobre 2004

Les élections présidentielles approchent... J-4...

Chroniques de Kaboul – 2e édition

Bonjour a tous,
Voici un peu de lecture postée de Kaboul... et quelques photos pour illustrer.
Vous avez même le droit d'avoir un aperçu de l'agence photo où je travaille et de mon bureau... avec l'ordinateur sur la droite!









Les élections approchent... J-4...
La pression monte et se fait sentir... Les news des agences de presse et des différents organismes de sécurité nous annoncent des incidents quotidiens un peu partout à travers le pays. En revanche, Kaboul et ses proches environs restant sous bonne garde... Les incidents répertoriés dans la capitale y sont effectivement plus rares. Malgré tout, pour les expatries U.N. le couvre-feu est fixé à 20h... Et la règle s'applique également à toutes les ONG... dont nous...

Pour autant, la ville ne manque pas de nouveaux visiteurs. Les journalistes, toujours plus nombreux, débarquent chaque jour par centaines, venus des quatre coins du monde. Belle brochette qui doit certainement préférée en ce moment l'air sec et poussiéreux des montagnes afghanes que celui plus roussi des sables chauds d'Irak...
A Kaboul, les embouteillages sont incessants aux principaux carrefours. Les vélos et les piétons se faufilent comme si de rien n’était au milieu de la pagaille ambiante. Klaxons, sonnettes, musiques indiennes... la cacophonie est dépaysante à souhait.
Signe positif : les va-et-vient des imposants camions pakistanais, peinturlurés de milles couleurs prouvent que l'économie locale est active et que la reconstruction est au coin de la rue... Mais la participation des multiples aides internationales restent, il ne fait pas l'oublier, le principal bailleur de fonds d'une société afghane en ruines après 23 ans de guerres, d'anarchie et d'instabilités politiques. Doucement, la vie "normale" reprend timidement son cours à Kaboul.
La meilleure preuve, les mariages fleurissent comme au printemps. Les boutiques exposent leurs robes aux couleurs criardes et les salles de fêtes et de bal affichent complet. J'ai eu la chance d'assister à l'un d'entre eux et même à la fête de pré-mariage... Le nombre des invites est renversant. Un modeste mariage ici, c'est au bas mot 200 personnes et dans sa version luxe... cela monte à 1000 convives où le soir, hommes et femmes sont séparés, chacun s'amusant de son côté. Seuls les hommes casés peuvent espérer une rapide excursion du côté des femmes. Fait exceptionnel, pour la fête de pré-mariage j'ai eu le droit de filmer une danse réalisée uniquement par des femmes.


Dans les rues, chacun des 18 candidats à la présidence, dont une femme, a son poster collé sur les murs. Hamid Karzai, l'actuel président qui prépare sa réélection, domine et s'expose en bonne place sur tous les bâtiments officiels. Mais il n'est pas le seul. Le portrait de Massoud est disséminé un peu partout à travers la ville. Le "lion du Pandjshir", assassiné le 9 septembre 2001, passe ici pour un "héros national". Un monument en son honneur lui est même dédié au coeur de la ville. L'icone de Massoud a beau être reconnue par beaucoup d'Afghans, il n'en reste pas moins que le pays souffre cruellement d'unité nationale. Et l'anarchie guette... Preuve en est : 18 candidats se présentent à la présidentielle, c'est autant d'opposants.

Y aura-t-il un second tour ? La question reste en suspend et c’est la grande inquiétude de beaucoup d'observateurs internationaux et surtout celle des conseillers de Bush à la Maison Blanche. Car si Karzai, l'homme des Américains, pourtant dès à présent donné vainqueur, ne parvient pas à réunir plus de 51% des suffrages, le 2e tour des élections présidentielles devraient se tenir le 7 novembre. Une date qui n'arrange personne pour bien des raisons.

Un : G. W. Bush traine une nouveau boulet au pied en plus de l'Irak, ce qui peut lui faire perdre encore plus de crédibilité en matière de politique internationale juste avant son propre scrutin le 2 novembre.
Deux : le second tour des élections afghanes s'il y a lieu devrait se dérouler en plein ramadan, une période peu propice à l'organisation d'élections, les votants étant plus enclin à se tourner vers des valeurs spirituelles que vers celles "bassement terre à terre" de la politique. Et pourquoi pas après le ramadan ? L'hiver sera déjà bien entamé et bons nombres d'électeurs risquent de ne pouvoir réaliser leur devoir de citoyen dans ce pays très montagneux et à 80% rural.

Ambiance tendue donc à l'approche des élections. Les sbires de Hamid Karzai, l'actuel président afghan, sont sur les dents et sur les nerfs. Et gare à celui qui a la mauvaise idée de s'approcher de trop près du cortège présidentiel... Arnachés comme des Rambos, les mercenaires U.S. de la DynCorps payés pour certains US$1000 par jour (La guerre enrichit toujours ses fideles soldats !) n'hésitent pas à mettre au tapis ou à menacer d'une balle les curieux ou le clopin non accrédité... En l'air, comme sur terre, les vigies scannent la moindre menace. Les hélicoptères américains de combat Apache virevoltent au-dessus de la ville comme d'agressifs rapaces noirs (mais en beaucoup plus bruyant malheureusement !) prêts à foncer sur leur proie. Sans parler des démonstrations de force des avions militaires avec au programme vol tactique et lancement de leurres.
De leurs cotes, les soldats de l'ISAF (force de sécurité internationale déployée surtout à Kaboul et ses environs) patrouillent en ville, la mitrailleuse montée sur jeep, prête a l'emploi. Equipés de gilets pare-balles et en tenue camouflage sable, ils affichent le look "warrior", avec leur casque lourd visse sur la tête, leur larges lunettes type aviateur et leur foulard autour du cou, version "renard du désert" de l'Afrika Corps.

Quel contraste saisissant avec les silhouettes fantomatiques de ces femmes au long tchadri bleu. Une allure qui parait presque irréelle pour le commun des mortels occidental... Et pourtant, sous le poids de ce voile qui leur évite malgré tout le regard pesant des hommes, étrangement, une forme de légèreté semble parfois porter ses femmes lorsque le vent s'engouffre sous leur tissu. Mais bien heureusement, il n'y a pas que des tchadri volant à Kaboul. Beaucoup de femmes laisse tomber le voile, ne gardant juste qu'un foulard qui recouvre leur tête et leurs épaules. L'après Taliban met du temps à s'imposer et les mauvaises habitudes ont la peau dure... L'image que j'ai de Kaboul, ce n'est pas uniquement ces tchadri, mais c'est aussi tous ces gamins qui, l'insouciance au ventre et le sourire aux lèvres, jouent avec leurs cerfs-volants colorés au milieu des terrains vagues poussiéreux...

A suivre...