lundi 11 octobre 2004

Voici les dernières nouvelles du front… Ici, c’est un vrai casse-tête !

Chroniques de Kaboul – 3e edition.

Sale temps a l’horizon !
Avis de tempête sur l’Afghanistan le 9 octobre prochain… Restez planqué, le temps que la tourmente passe… C’est le bulletin prévisionnel que nous annonçaient à la veille du scrutin les “Madame Soleil” et autres “météorologues” de la géopolitique. Mais, la rafale n’a pas eu lieu et rares sont les roquettes à être tombée du ciel. Ce 9 octobre 2004 a été pour ainsi dire calme, pour un pays comme l’Afghanistan après 23 ans de guerres et d’instabilité politique.
Pourtant, ce jour là, le temps était étrangement menaçant. La veille au soir déjà, après une belle journée ensoleillée de fin d’été, le vent s’est brusquement levé. Et la poussière avec, s’infiltrant partout dans les moindres recoins. En un rien de temps, le ciel de Kaboul est passé d’un bleu azur à une couleur sable. Les superstitieux pouvaient y voir un mauvais présage pour ces premières élections annoncées comme démocratiques. Dans l’ensemble on peut dire que… c’est mieux que si c’était pire!!!

Jour J
Les Humvee, ces larges véhicules militaires blindés américains, traversent la ville désertée sur les chapeaux de roue, mitraillette au vent. Plus un seul embouteillage, ni coups de Klaxon intempestif. La ville s’est vidée comme soufflé par un vent de sable. Seule reste la poussière et quelques âmes nomades, donnant à Kaboul une ambiance de farwest version Asie centrale.

C’est le Jour J pourtant. De bon matin, une poignée de journalistes font le pied de grue devant l’endroit où le président intérimaire Hamid Karzai est attendu pour voter. Bien évidemment, ne rentre pas qui veut. Il faut montrer patte blanche et surtout l’accréditation de presse. Fouille au corps de la tête aux pieds; chien renifleur d’explosif pour tous les objets annexes (téléphones portables, cameras, sacs, etc.), tout y passe… sauf les chaussures… Un point en moins messieurs de la sécurité. Pendant la fouille, l’ambiance est polie et, bien sagement, tout le monde se prête au jeu.

On n’a pas vraiment le choix à vrai dire. Sinon, c’est bye-bye Mister president.
Le seul moment de distraction lors de la fouille vient du chien de l’un de ces mercenaires aux gueules patibulaires de la DynCorps. Bien dressé et tenue en laisse courte, ça n’empêche pas pour autant le bon toutou à son papa de repérer sur le trottoir d’en face une chienne errante pour laquelle il semble avoir le béguin. Ses gémissements de mâle en rut en disent longs. Mais rien à faire. Indifférente, la chienne vagabonde passe son chemin. Juste de quoi décrocher un léger sourire aux lèvres des chiens de guerre en charge de la garde rapprochée du président afghan. Cheveux longs, petit bouc ou barbe hirsute façon hippie sur la route des Indes, tous les miliciens US n’affichent pas un look très règlementaire. Mais bon, on va laisser passer pour cette fois-ci, vu que les gros flingues, ce sont eux qui les ont! Alors moi, avec ma barbe de trois jours, je fais profil bas.

Pour quelques millions de dollars de plus
Une fois passé le service d’ordre, il faut savoir être patient. Car Hamid Karzai se fait attendre au bureau de vote très VIP, installé dans le bâtiment du Premier ministre. Quand soudain, l’agitation se fait sentir du côté des porte-flingues. Au loin, déboule a vive allure avec les pleins phares un convoi d’une dizaine d’énormes 4x4 made in USA et autres berlines aux vitres teintées. Freinage brutal, crissements de pneus et portières qui s’ouvrent brutalement pour voir s’éjecter de gros balèses aux lunettes de soleil noires, il n’y a pas de doute, le maître de cérémonie est bien arrivé. Rapides coups d’oeil à droite et à gauche des sbires. RAS (rien à signaler) ! La zone est sécurisée. L’homme des Américains peut enfin sortir de sa limousine noire.

Manteau traditionnel afghan jeté sur les épaules
et tout sourire avec sa barbe soigneusement taillée face au parterre de journalistes, Hamid Karzai soigne son image d’homme providentiel dans un pays en ruines et soumis à la loi des «saigneurs de la guerre». Les formules de politesse distribuées à la presse, il s’agit maintenant de voter. Quelques minutes suffisent et retour devant les medias en pleine bousculade pour décrocher la meilleure image et enregistrer les mots de celui qui est déjà donné gagnant des élections. La rencontre ne dure que quelques minutes. Et la fin du show est aussi rapide et efficace que l’entrée en scène. D’un seul coup, la pression retombe… Mais pas pour longtemps.
En milieu de journée, le scandale éclate. Les 15 candidats encore en lice contre le président sortant –deux s’étant désistées au profit de Karzai -, annoncent à l’unisson qu’ils boycottent les élections. L’objet du litige ? L’encre utilisée pour empêcher les électeurs de voter plusieurs fois n’est pas indélébile. Preuve en est, le cousin d’un des photographes de mon agence photo a voté onze fois pour le même candidat juste en se lavant les mains et en utilisant onze cartes de vote différentes. Le comble de cette histoire, c’est qu’il a voté à chaque fois pour Younous Qanoni, ancien ministre de l’éducation et challenger de Karzai, et est en l’occurrence l’un des leaders du groupe des contestataires. Sans aucun doute, on peut dire qu’ici la démocratie est ici encore une notion « fragile ». Dire que la facture de ces élections tourne autour de 150 à 200 millions de dollars et que tout peut capoter à cause de quelques litres d’encre soluble dans l’eau. Bienvenue en Afghanistan.

Show must go on
Quoiqu’il en soit, le dépouillage des votes est en cours. Les bulletins sont rapatriés en pick-up, en camions, en hélicoptères ou encore à dos d’ânes pour les régions montagneuses les plus reculées. A quand le résultat des courses ? Pas avant une à deux semaines nous dit-on. Malgré tout ce ramdam politique à l’afghane et ces associations « de malfaiteurs », ce qui m’enchante c’est de voir un peu partout ces enfants accrochés au bout des cerfs-volants. N’importe où, sur le toit des maisons ou en pleine rue, petits déjà ils apprennent à jouer avec les vents porteurs et à dompter ceux qui sont contraires. Certainement histoires de s’habituer lorsqu’ils seront plus grands aux volte-face de dernière minute…

mercredi 6 octobre 2004

Les élections présidentielles approchent... J-4...

Chroniques de Kaboul – 2e édition

Bonjour a tous,
Voici un peu de lecture postée de Kaboul... et quelques photos pour illustrer.
Vous avez même le droit d'avoir un aperçu de l'agence photo où je travaille et de mon bureau... avec l'ordinateur sur la droite!









Les élections approchent... J-4...
La pression monte et se fait sentir... Les news des agences de presse et des différents organismes de sécurité nous annoncent des incidents quotidiens un peu partout à travers le pays. En revanche, Kaboul et ses proches environs restant sous bonne garde... Les incidents répertoriés dans la capitale y sont effectivement plus rares. Malgré tout, pour les expatries U.N. le couvre-feu est fixé à 20h... Et la règle s'applique également à toutes les ONG... dont nous...

Pour autant, la ville ne manque pas de nouveaux visiteurs. Les journalistes, toujours plus nombreux, débarquent chaque jour par centaines, venus des quatre coins du monde. Belle brochette qui doit certainement préférée en ce moment l'air sec et poussiéreux des montagnes afghanes que celui plus roussi des sables chauds d'Irak...
A Kaboul, les embouteillages sont incessants aux principaux carrefours. Les vélos et les piétons se faufilent comme si de rien n’était au milieu de la pagaille ambiante. Klaxons, sonnettes, musiques indiennes... la cacophonie est dépaysante à souhait.
Signe positif : les va-et-vient des imposants camions pakistanais, peinturlurés de milles couleurs prouvent que l'économie locale est active et que la reconstruction est au coin de la rue... Mais la participation des multiples aides internationales restent, il ne fait pas l'oublier, le principal bailleur de fonds d'une société afghane en ruines après 23 ans de guerres, d'anarchie et d'instabilités politiques. Doucement, la vie "normale" reprend timidement son cours à Kaboul.
La meilleure preuve, les mariages fleurissent comme au printemps. Les boutiques exposent leurs robes aux couleurs criardes et les salles de fêtes et de bal affichent complet. J'ai eu la chance d'assister à l'un d'entre eux et même à la fête de pré-mariage... Le nombre des invites est renversant. Un modeste mariage ici, c'est au bas mot 200 personnes et dans sa version luxe... cela monte à 1000 convives où le soir, hommes et femmes sont séparés, chacun s'amusant de son côté. Seuls les hommes casés peuvent espérer une rapide excursion du côté des femmes. Fait exceptionnel, pour la fête de pré-mariage j'ai eu le droit de filmer une danse réalisée uniquement par des femmes.


Dans les rues, chacun des 18 candidats à la présidence, dont une femme, a son poster collé sur les murs. Hamid Karzai, l'actuel président qui prépare sa réélection, domine et s'expose en bonne place sur tous les bâtiments officiels. Mais il n'est pas le seul. Le portrait de Massoud est disséminé un peu partout à travers la ville. Le "lion du Pandjshir", assassiné le 9 septembre 2001, passe ici pour un "héros national". Un monument en son honneur lui est même dédié au coeur de la ville. L'icone de Massoud a beau être reconnue par beaucoup d'Afghans, il n'en reste pas moins que le pays souffre cruellement d'unité nationale. Et l'anarchie guette... Preuve en est : 18 candidats se présentent à la présidentielle, c'est autant d'opposants.

Y aura-t-il un second tour ? La question reste en suspend et c’est la grande inquiétude de beaucoup d'observateurs internationaux et surtout celle des conseillers de Bush à la Maison Blanche. Car si Karzai, l'homme des Américains, pourtant dès à présent donné vainqueur, ne parvient pas à réunir plus de 51% des suffrages, le 2e tour des élections présidentielles devraient se tenir le 7 novembre. Une date qui n'arrange personne pour bien des raisons.

Un : G. W. Bush traine une nouveau boulet au pied en plus de l'Irak, ce qui peut lui faire perdre encore plus de crédibilité en matière de politique internationale juste avant son propre scrutin le 2 novembre.
Deux : le second tour des élections afghanes s'il y a lieu devrait se dérouler en plein ramadan, une période peu propice à l'organisation d'élections, les votants étant plus enclin à se tourner vers des valeurs spirituelles que vers celles "bassement terre à terre" de la politique. Et pourquoi pas après le ramadan ? L'hiver sera déjà bien entamé et bons nombres d'électeurs risquent de ne pouvoir réaliser leur devoir de citoyen dans ce pays très montagneux et à 80% rural.

Ambiance tendue donc à l'approche des élections. Les sbires de Hamid Karzai, l'actuel président afghan, sont sur les dents et sur les nerfs. Et gare à celui qui a la mauvaise idée de s'approcher de trop près du cortège présidentiel... Arnachés comme des Rambos, les mercenaires U.S. de la DynCorps payés pour certains US$1000 par jour (La guerre enrichit toujours ses fideles soldats !) n'hésitent pas à mettre au tapis ou à menacer d'une balle les curieux ou le clopin non accrédité... En l'air, comme sur terre, les vigies scannent la moindre menace. Les hélicoptères américains de combat Apache virevoltent au-dessus de la ville comme d'agressifs rapaces noirs (mais en beaucoup plus bruyant malheureusement !) prêts à foncer sur leur proie. Sans parler des démonstrations de force des avions militaires avec au programme vol tactique et lancement de leurres.
De leurs cotes, les soldats de l'ISAF (force de sécurité internationale déployée surtout à Kaboul et ses environs) patrouillent en ville, la mitrailleuse montée sur jeep, prête a l'emploi. Equipés de gilets pare-balles et en tenue camouflage sable, ils affichent le look "warrior", avec leur casque lourd visse sur la tête, leur larges lunettes type aviateur et leur foulard autour du cou, version "renard du désert" de l'Afrika Corps.

Quel contraste saisissant avec les silhouettes fantomatiques de ces femmes au long tchadri bleu. Une allure qui parait presque irréelle pour le commun des mortels occidental... Et pourtant, sous le poids de ce voile qui leur évite malgré tout le regard pesant des hommes, étrangement, une forme de légèreté semble parfois porter ses femmes lorsque le vent s'engouffre sous leur tissu. Mais bien heureusement, il n'y a pas que des tchadri volant à Kaboul. Beaucoup de femmes laisse tomber le voile, ne gardant juste qu'un foulard qui recouvre leur tête et leurs épaules. L'après Taliban met du temps à s'imposer et les mauvaises habitudes ont la peau dure... L'image que j'ai de Kaboul, ce n'est pas uniquement ces tchadri, mais c'est aussi tous ces gamins qui, l'insouciance au ventre et le sourire aux lèvres, jouent avec leurs cerfs-volants colorés au milieu des terrains vagues poussiéreux...

A suivre...