mardi 14 décembre 2004

Dans la vallée du lion du Pandjshir

Dis tonton pourquoi tu tousses ?
Bien avant mon arrivée en Afghanistan on m'avait prévenu, « Tu verras, Kaboul estune ville polluée et très poussiéreuse ». Preuve en est, il est très facile de croiser aux coins des rues des vendeurs de masques dits « de chirurgien ». Des piétons aux cyclistes en passant par les agents de la circulation aux carrefours des rues de Kaboul, le masque est à l'ordre du jour. Tu parles d'un exotisme ! On peut en acheter in situ pour 5 afghanis pièce (10 centimes d'euros). Et c'est un bon business pour le jeune Mohammed Bachir (photo à gauche) qui me dit qu'il en vend près de 200 par jour. Chiffre d'affaires brut quotidien : près de 15 euros! Même s'il doit les payer pour se les procurer, ça lui laisse une marge plutôt confortable dans un pays où le salaire mensuel moyen plafonne à 2 500 afghanis (40 euros). Ce qui n'est pas besef surtout lorsque l'on regarde les prix du détail du coût de la vie quotidienne: le traditionnel non (à prononcer none et qui veut dire pain) coûte 4-5 afghanis, 1 kg de riz 40, le kilo de viande de mouton 180 et 1 litre de diesel, 23. Sans parler du coût de la location d'une maison pour une famille de quatre personnes qui tourne facilement autour de 1 000 afghanis par mois. Et l'on devient une sorte de privilégié lorsque l'on dispose de l'eau courante et de l'électricité à la maison. L'électricité est une denrée précieuse qu'il vaut mieux se procurer soi-même, l'EDF local ayant bien souventdes rater dans Kaboul même. Alors chacun y va de son générateur, du mastodonte surpuissant et assourdissant au petit d'appoint facilement transportable. Ces petites bêtes ronronnantes traînent sur les trottoirs de la ville, devant les boutiques qui font tourner du matériel électroniques, ordinateurs, photocopieurs, etc. Système D oblige.

Les Nuits parisiennes
Kaboul se reconstruit doucement. Après tant d'années de guerre et de destructions - pastant par les Soviétiques que par les Afghans eux-mêmes pendant leurguerre civile, de 1992 à 1996- Kaboul se redresse timidiment et renaît de ses cendres. Sur le boulevard Taïmani de la nouvelle ville, les squelettes de béton des nouveaux immeubles se succèdent presque de façon monotone. L'originalité n'est pas à l'ordre du jour. L'heure est avant tout à l'efficacité. Mais quelques exceptions dénotent dans le paysage comme le Sham-e-Paris Restaurant avec ses façades chamarées, faites de fresques multicolores. Plus qu'un restaurant, le Sham-e-Paris est le nouveau haut-lieude Kaboul pour se marier. Traduisez "Sham-e-Paris" par "La nuit parisienne", un endroit où l’on vient en famille plus que pour s’encainailler tout de même. Avec ses trois vastes salons, le site peut accueillir en simultanémentplusieurs milliers de personnes. Rien que la plus grande salle peut recevoir jusqu'à 2 500 personnes. A 500 afghanis (10 dollars environ) par personne, le menu haut de gamme, la note est salée - plus de 18 000 euros - et l'on comprend tout de suite que l'endroit soit réservé à une certaine élite de la société afghane. Le Sham-e-Paris, qui a ouvert sesportes il y a à peine 3 mois, propose aussi de multiples services comme une guest-house dans laquelle les chambres sont toutes équipées de télévision satellite, de prise Internet avec connexion haut débit par stellite, de petite cuisine individuelle, etc. Tout le confort pour 50 dollars la nuit, petit-déjeuner inclus. Si ça vous tente, je vous réserve une chambre pour votre nuit de noce. Je devrais pouvoir vous obtenir un discount vu que j'ai sympathisé avec legérant de l'établissement. Et pour ces dames, vous pouvez même acheter votrerobe de mariée dans l'une des boutiques au rez-de-chaussée. On y va, on y va!!!

Bouffée d'oxygène au pays du lion du Pandjshir
C'est bien beau de faire des folies lors de longues nuits parisiennes et de picoler jusqu'à plus soif dans les bars pour expatriés. Il n'en demeure pas moins que rien ne remplace le spectacle de la mère nature. Après avoir passé plusieurs semaines downtown, est enfin arrivé le temps pour moi de planifier une virée de deux jours dans la vallée du Pandjshir avec trois autres amis. Une vraie bouffée d'oxygène. Départ de bonne heure à 6h30 du matin. Kaboul s'éveille à peine. Doucement le soleil darde ses timides premiers rayons dorés sur la tête des montagnes légèrement enneigées. Devant nous, déjà, la route file comme un cordon ininterrompu vers l'horizon, l'aventure et la liberté. Après le bitume, les nids de poules et les dos d'ânes, ce sont des pistes poussiéreuses qui nous attendent lors de la plus grande partie de notre escapade. Progressivement, la route se rétrécit pour finalement serpenter aumilieu d'une vallée escarpée tout le long de la rivière Pandjshir. Soudain, un barrage sorti de nulle part. Le checkpoint avec ses immenses grilles marque l'entrée au pays de Massoud l'Afghan. Son portrait en grand est là pour le rappeler à tous les visiteurs qui ne le saura pas encore. Partout, l'image du charismatique leader des Tadjiks afghans, impose ce profil saillant et noble à la fois. Un faciès devenu un symbole de résistance. Pourtant, il n'a pas pu réchapper à l'attentat meurtrier mené par deux faux journalistes arabes le 9 septembre 2001. Deuxjours avant le fameux 11 septembre qui a précipité l'intervention militaireaméricaine dans la région et la chute du régime des Taliban dans le pays.

Massoud Hill
A notre passage dans les villages, les regards sont curieux mais jamais inquisiteurs. Les Tadjiks du Pandjshir ont l'habitude de croiser des étrangers et en particulier des Français. Médecins et journalistes, beaucoup d'entre eux se sont rendus dans la région secourir un peuple téméraire et son chef Ahmad Shah Massoud, successivement en lutte contre les Soviétiques, les seigneurs dela guerre et les Taliban. Jamais vaincus, ces Tadjiks passent pour des irréductibles et leur vallée prend des airs de citadelle inexpugnable. Quand à nous, pas de souci et c'est la main sur le coeur que nous sommes accueillis chaleureusement par nos hôtes. Pas un endroit où l'on ne soit pas invité à prendre le thé, à manger et même à dormir. Ici, les enfants sont partout et courent dans tous les sens. Amusés par notre présence, ils nous quemandent de les prendre en photo. Tant de sourires, de bonne humeur et d'énergieque l'on en oublierait presque les tonnes de carcasses rouillées des tanks soviétiques qui végètent au cour de la vallée du célèbre Lion duPandjshir. Après plus de 20 années passées à se battre, Massoud repose dorénavant « en paix » dans un mausolée au sommet d'une colline qui porte son nom : «Massoud Hill». Comme nous, des visiteurs viennent se rendresur la tombe du héros, gardée par des soldats en armes et en treillis. Si pour nous, cette visite est de l’ordre de la curiosité, pour eux, c'est un véritable pèlerinage.

Et au milieu coule une rivière
A l'approche de l'hiver la vallée découvre un paysage aride. Mais magnifique. Sa rivière, limpide, donne l'envie de piquer une tête. Mais une fois les orteils trempés, on est vite dissuadé. Plus loin, dans la petite localité de Borak, on sympathise avec Rakhmat, un soldat au service dela milice du ministre de la défense marchal Fahim, un Tadjik. Le sourire aux lèvres ils nous proposent de nous pécher du poisson dans le Pandjshir et de nous le cuisiner. Comment refuser ! Et c'est avec des grappes de gamins papillonnant autour de nous que nous allons suivre notre ami à la pêche. Pas à la grenade,non comme nous l’aurions pensé, plein de mauvaise fois que nous sommes. Mais avec un filet artisanal. La technique de Rakhmat: s'enfoncer dans l'eau jusqu'à mi-cuisse, attendre que les enfants jettent des dizaines de cailloux dans la rivière pour rabattre les poissons vers lui avant de lancerson filet. Et ça marche. En moins d'une heure, il a attrapé au moinsune vingtaine de poissons qu'une demi-heure après on se fait un plaisir de déguster chez Mir Afghan, le maire de Borak, heureux papa de 14 enfants dont Saddat, 1 an et demi, la petite dernière. Difficile de se résigner à quitter l'hospitalité qui nous est offerte de rester encore plus longtemps, mais la longue route du retour pour Kaboul avant la tombée de la nuit est devant nous.

samedi 20 novembre 2004

Cet Orient aux contours improbables

La parenthèse
L’élection présidentielle est passée. Le temps est au comptage des votes. Ce qui n’est pas une mince affaire. Pendant ce temps, la vie a repris son cours « normal ». Les embouteillages, ces 4x4 flambants neufs qui doublent sur la file de gauche empiétant sur la file opposée, carrosserie blanche et vitres teintées noires. Là, on me dit que c’est le convoi de l’actuel ministre de la défense, le marchal Fahim (à gauche, lors d'un tournoi à Kaboul de buzkashi, le sport national équestre). Qu’il en profite parce d’après une rencontre lors d’une soirée un peu arrosée, un mercenaire me confie qu’il ne lui donne pas cher de sa peau dans les qq semaines à venir, le temps d’obtenir les résultats des élections. Ca sent le règlement de compte.

Au milieu du trafic surchargé et bruyant, j’aperçois au sol séparées à peine d’une dizaine de mètres l’une de l’autre, deux femmes accroupies au sol, sous leur tchadri bleu azur. Tout un symbole entre d’un côté une société figée, pauvre, et de l’autre, des symboles de modernité, synonymes d’un certain progrès qui passent à vive allure sans daigner s’arrêter, tout juste éviter ce qui « traîne » sur leur chemin.

« Tous ne sont pas des héros »
Parfois, je repense à ce bouquin de Joseph Kessel, « Tous n’étaient pas des héros ». Dans la vie, surtout lorsque l’on courre le monde, on fait des rencontres improbables avec des gens tout autant improbables. Tout comme ce soir là, ou grâce à une connaissance je me retrouve avec deux potes chez un British avec un accent à couper au couteau et à la dégaine de routier, bien loin du gentleman de chapeau melon et bottes de cuir.
Bières après bières… après bières…. Allez encore une, enfin, on ne les compte plus… les aventures fusent, surtout celles de Peter, un gars originaire du Pays de Gales, qui parle de sa femme somalienne dont le père est chef de tribu et le grand-père a assis le pouvoir de sa famille et fait sa fortune sur le brigandage. Joli tableau. Sans compter que le fameux Peter commence à me confier ses expéditions de soldats de l’ombre à la solde d’un gouvernement qui l’a laisse tombe au Tchad en pleine opération commando clandestine. Résultat, sur cinq partis, un est resté sur le carreau et les quatre autres ont endure plusieurs semaines de taules et de tortures avant d’être libère moyennant de sombres tractations… « Pourquoi tout ça ? » je lui demande tout de go. L’appât du gain. Il y a toujours des gouvernements prêts à payer à prix d’or des sbires pour aller au feu en toute clandestinité. Et il y a tant de gars au CV à faire pâlir les belles-mères pour accepter de belles liasses de pognon. Peter appartient a ce genre de type aux gros bras, qui n’ont pas froid aux yeux et qui affichent de bonne brioche quand ils approchent la quarantaine-cinquantaine. La panse bien imbibée par l’alcool, le rire volontiers puissant et carnassier, la plupart de ces spécimens « bandent » en lisant « Soldiers of Fortune », « The Journal of professional adventures » dixit son site Internet : www.sofmag.com.
La description est certes un peu caricaturale, mais il faut les voir pour le croire.

L’Orient à portée de main…
Au bout de la énième bière, il est temps de filer au « Beijing », sorte de bar interlope, à la lumière rouge blafarde avec au fond de la pièce un Home cinéma qui passe des clips vidéo ringards, façon Karaoké chinois. Normal après tout, on est dans une succursale du Pékin by night. Là, on croise un Afghan cuit qui file dans son lit escorté par deux brutes surarmés. De l’avis de notre compagnon de soirée, le gars qui titube est un gars haut placé au gouvernement afghan. Dire que l’alcool est officiellement interdit dans ce pays régit par la charia, la loi islamique. Mais comme partout, la loi s’applique surtout à ceux qui ne l’écrivent pas. En attendant, dans le bar aux loupiottes tamisées, deux types enlacent comme ils peuvent deux jeunes miss de la nuit. Deux papillons chinois qui ne demandent certainement qu’à s’envoler loin de tout ça…

Mange tes yeux !
Depuis le 15 octobre, c’est le début du Ramadan. Pour les non musulmans, ça signifie la fin des jeux de cartes à l’extérieur, pas de boisson ni de nourriture et de chewing-gum devant nos collègues Afghans la journée. Au bout de quelques jours, on s’y fait, tout est une question d’habitude. A 17h15, je vois nos amis Afghans sortir leurs assiettes et une plâtrée de riz, tout heureux de pouvoir enfin manger après 11 heures de jeun. On écrivant cela, il me revient en tête ce dicton afghan que Mariamme, une amie franco-afghane, m’a sortie un jour à propos de ce que l’on dit parfois avant de manger, « Qui c’est qui va manger, qui c’est qui va regarder ? »
De la même manière, elle me racontera aussi à quel point les Afghans sont durs entre eux. En pleine journée, après un léger accrochage entre deux voitures – tout ce qu’il y a de plus fréquent vu que beaucoup de chauffeurs roulent à tombeau ouvert en pleine ville - les curieux affluents autour de l’accident. Aussitôt, un flic pointe le bout de son nez et lance aux badauds : « Qu’est-ce que vous foutez la bandes de chômeurs ! Je vais vous en donner moi du travail ! Et toi, s’adressant à une petite fille toute mimi dans sa robe colorée, « Mange tes yeux et dégage de là ! ».

Chasse à l’homme en plein Ramadan
A Kaboul, la pression est remontée d’un cran avec l’enlèvement des trois employés des Nations Unies, une kosovar, une anglo-irlandaise et un philippin.
Des rumeurs d’abord. Un coup d’un seigneur de la guerre qui tente de sauver sa peau du jeu électoral qui ne lui ai pas favorable. Younous Qanuni ? Puis rapidement le nom de Fahim, ministre de la défense, vient en tête de liste, surtout que les kidnappeurs armés auraient utilisé une voiture appartenant à son ministère. Dernier baroud d’honneur pour Fahim, ce type qui un temps fut au côté du commandant Ahmad Shah Massoud dans la lutte contre les Soviétiques ? Ca ne semble pas insensé si je repense à ce que m’a dit Peter le mercenaire deux semaines auparavant « je ne lui donne pas plus de trois semaines à vivre » en parlant du marchal Fahim… Mais il ne faut pas oublier que les rumeurs sont une spécialité afghane. Difficile parfois de faire la part du vrai du faux dans ce pays si l’on n’a pas les preuves sous les yeux.
Finalement la piste de taliban voire de bandits semble la plus sérieuse. Avec effets d’annonce à l’appui. « Attention, pas de chasse à l’homme contre nous ou bien on exécute derechef les otages », menacent-ils. Depuis, l’affaire traîne en longueur après maints ultimatum de menaces de mise » mort des otages de la part des ravisseurs.

Kaboul s’éveille
Après avoir vécu pendant 1 mois au centre Aina en plein centre ville, j’ai déménagé dans une des deux guest-houses de l’association. Ce qui veut dire que tous les matins, vers 7h00 je traverse une partie de la ville pour aller au boulot. L’occasion de voir un peu plus Kaboul s’animer de bon matin, de doubler ces velos qui roulent paisiblement et de croiser la bourse du travail en face du cinéma Baharistan. Là, au bord de la route des grappes de dizaines d’hommes font le pieds de grues ou plutôt se recroquevillent sur eux-mêmes pour se réchauffer dans l’attente d’un « patron » d’un jour qui les paiera au maximum 200 Afghanis (4 dollars environ) la journée pour des travaux de peintures, ménages ou autre métier manuel. Un peu plus loin, le bazar s’anime déjà depuis 6h30 du matin, mais en été il s’éveille à 5h avec le levé du jour. Cinq heures, Kaboul s’éveille… Dès potron-minet, la lumière dorée, filtrée par la poussière ambiante, projettent les ombres des passants sur les murs flétris de la ville. Malheureusement, suite aux consignes de sécurités draconiennes qui nous sont imposées à nouveaux depuis l’enlèvement des employés des U.N., tous les matins on doit filer direct au centre et pas question de s’arrêter pour prendre des photos et flâner en ville à pieds. Quelle frustration. Patience nous dit-on. Et pour mettre encore plus d’ambiance, ce 8 novembre, à 22h10, la terre a bien tremblée sous nos pieds. Mais pas de dégâts apparemment d’après les nouvelles du lendemain. Enfin une bonne nouvelle!

lundi 11 octobre 2004

Voici les dernières nouvelles du front… Ici, c’est un vrai casse-tête !

Chroniques de Kaboul – 3e edition.

Sale temps a l’horizon !
Avis de tempête sur l’Afghanistan le 9 octobre prochain… Restez planqué, le temps que la tourmente passe… C’est le bulletin prévisionnel que nous annonçaient à la veille du scrutin les “Madame Soleil” et autres “météorologues” de la géopolitique. Mais, la rafale n’a pas eu lieu et rares sont les roquettes à être tombée du ciel. Ce 9 octobre 2004 a été pour ainsi dire calme, pour un pays comme l’Afghanistan après 23 ans de guerres et d’instabilité politique.
Pourtant, ce jour là, le temps était étrangement menaçant. La veille au soir déjà, après une belle journée ensoleillée de fin d’été, le vent s’est brusquement levé. Et la poussière avec, s’infiltrant partout dans les moindres recoins. En un rien de temps, le ciel de Kaboul est passé d’un bleu azur à une couleur sable. Les superstitieux pouvaient y voir un mauvais présage pour ces premières élections annoncées comme démocratiques. Dans l’ensemble on peut dire que… c’est mieux que si c’était pire!!!

Jour J
Les Humvee, ces larges véhicules militaires blindés américains, traversent la ville désertée sur les chapeaux de roue, mitraillette au vent. Plus un seul embouteillage, ni coups de Klaxon intempestif. La ville s’est vidée comme soufflé par un vent de sable. Seule reste la poussière et quelques âmes nomades, donnant à Kaboul une ambiance de farwest version Asie centrale.

C’est le Jour J pourtant. De bon matin, une poignée de journalistes font le pied de grue devant l’endroit où le président intérimaire Hamid Karzai est attendu pour voter. Bien évidemment, ne rentre pas qui veut. Il faut montrer patte blanche et surtout l’accréditation de presse. Fouille au corps de la tête aux pieds; chien renifleur d’explosif pour tous les objets annexes (téléphones portables, cameras, sacs, etc.), tout y passe… sauf les chaussures… Un point en moins messieurs de la sécurité. Pendant la fouille, l’ambiance est polie et, bien sagement, tout le monde se prête au jeu.

On n’a pas vraiment le choix à vrai dire. Sinon, c’est bye-bye Mister president.
Le seul moment de distraction lors de la fouille vient du chien de l’un de ces mercenaires aux gueules patibulaires de la DynCorps. Bien dressé et tenue en laisse courte, ça n’empêche pas pour autant le bon toutou à son papa de repérer sur le trottoir d’en face une chienne errante pour laquelle il semble avoir le béguin. Ses gémissements de mâle en rut en disent longs. Mais rien à faire. Indifférente, la chienne vagabonde passe son chemin. Juste de quoi décrocher un léger sourire aux lèvres des chiens de guerre en charge de la garde rapprochée du président afghan. Cheveux longs, petit bouc ou barbe hirsute façon hippie sur la route des Indes, tous les miliciens US n’affichent pas un look très règlementaire. Mais bon, on va laisser passer pour cette fois-ci, vu que les gros flingues, ce sont eux qui les ont! Alors moi, avec ma barbe de trois jours, je fais profil bas.

Pour quelques millions de dollars de plus
Une fois passé le service d’ordre, il faut savoir être patient. Car Hamid Karzai se fait attendre au bureau de vote très VIP, installé dans le bâtiment du Premier ministre. Quand soudain, l’agitation se fait sentir du côté des porte-flingues. Au loin, déboule a vive allure avec les pleins phares un convoi d’une dizaine d’énormes 4x4 made in USA et autres berlines aux vitres teintées. Freinage brutal, crissements de pneus et portières qui s’ouvrent brutalement pour voir s’éjecter de gros balèses aux lunettes de soleil noires, il n’y a pas de doute, le maître de cérémonie est bien arrivé. Rapides coups d’oeil à droite et à gauche des sbires. RAS (rien à signaler) ! La zone est sécurisée. L’homme des Américains peut enfin sortir de sa limousine noire.

Manteau traditionnel afghan jeté sur les épaules
et tout sourire avec sa barbe soigneusement taillée face au parterre de journalistes, Hamid Karzai soigne son image d’homme providentiel dans un pays en ruines et soumis à la loi des «saigneurs de la guerre». Les formules de politesse distribuées à la presse, il s’agit maintenant de voter. Quelques minutes suffisent et retour devant les medias en pleine bousculade pour décrocher la meilleure image et enregistrer les mots de celui qui est déjà donné gagnant des élections. La rencontre ne dure que quelques minutes. Et la fin du show est aussi rapide et efficace que l’entrée en scène. D’un seul coup, la pression retombe… Mais pas pour longtemps.
En milieu de journée, le scandale éclate. Les 15 candidats encore en lice contre le président sortant –deux s’étant désistées au profit de Karzai -, annoncent à l’unisson qu’ils boycottent les élections. L’objet du litige ? L’encre utilisée pour empêcher les électeurs de voter plusieurs fois n’est pas indélébile. Preuve en est, le cousin d’un des photographes de mon agence photo a voté onze fois pour le même candidat juste en se lavant les mains et en utilisant onze cartes de vote différentes. Le comble de cette histoire, c’est qu’il a voté à chaque fois pour Younous Qanoni, ancien ministre de l’éducation et challenger de Karzai, et est en l’occurrence l’un des leaders du groupe des contestataires. Sans aucun doute, on peut dire qu’ici la démocratie est ici encore une notion « fragile ». Dire que la facture de ces élections tourne autour de 150 à 200 millions de dollars et que tout peut capoter à cause de quelques litres d’encre soluble dans l’eau. Bienvenue en Afghanistan.

Show must go on
Quoiqu’il en soit, le dépouillage des votes est en cours. Les bulletins sont rapatriés en pick-up, en camions, en hélicoptères ou encore à dos d’ânes pour les régions montagneuses les plus reculées. A quand le résultat des courses ? Pas avant une à deux semaines nous dit-on. Malgré tout ce ramdam politique à l’afghane et ces associations « de malfaiteurs », ce qui m’enchante c’est de voir un peu partout ces enfants accrochés au bout des cerfs-volants. N’importe où, sur le toit des maisons ou en pleine rue, petits déjà ils apprennent à jouer avec les vents porteurs et à dompter ceux qui sont contraires. Certainement histoires de s’habituer lorsqu’ils seront plus grands aux volte-face de dernière minute…

mercredi 6 octobre 2004

Les élections présidentielles approchent... J-4...

Chroniques de Kaboul – 2e édition

Bonjour a tous,
Voici un peu de lecture postée de Kaboul... et quelques photos pour illustrer.
Vous avez même le droit d'avoir un aperçu de l'agence photo où je travaille et de mon bureau... avec l'ordinateur sur la droite!









Les élections approchent... J-4...
La pression monte et se fait sentir... Les news des agences de presse et des différents organismes de sécurité nous annoncent des incidents quotidiens un peu partout à travers le pays. En revanche, Kaboul et ses proches environs restant sous bonne garde... Les incidents répertoriés dans la capitale y sont effectivement plus rares. Malgré tout, pour les expatries U.N. le couvre-feu est fixé à 20h... Et la règle s'applique également à toutes les ONG... dont nous...

Pour autant, la ville ne manque pas de nouveaux visiteurs. Les journalistes, toujours plus nombreux, débarquent chaque jour par centaines, venus des quatre coins du monde. Belle brochette qui doit certainement préférée en ce moment l'air sec et poussiéreux des montagnes afghanes que celui plus roussi des sables chauds d'Irak...
A Kaboul, les embouteillages sont incessants aux principaux carrefours. Les vélos et les piétons se faufilent comme si de rien n’était au milieu de la pagaille ambiante. Klaxons, sonnettes, musiques indiennes... la cacophonie est dépaysante à souhait.
Signe positif : les va-et-vient des imposants camions pakistanais, peinturlurés de milles couleurs prouvent que l'économie locale est active et que la reconstruction est au coin de la rue... Mais la participation des multiples aides internationales restent, il ne fait pas l'oublier, le principal bailleur de fonds d'une société afghane en ruines après 23 ans de guerres, d'anarchie et d'instabilités politiques. Doucement, la vie "normale" reprend timidement son cours à Kaboul.
La meilleure preuve, les mariages fleurissent comme au printemps. Les boutiques exposent leurs robes aux couleurs criardes et les salles de fêtes et de bal affichent complet. J'ai eu la chance d'assister à l'un d'entre eux et même à la fête de pré-mariage... Le nombre des invites est renversant. Un modeste mariage ici, c'est au bas mot 200 personnes et dans sa version luxe... cela monte à 1000 convives où le soir, hommes et femmes sont séparés, chacun s'amusant de son côté. Seuls les hommes casés peuvent espérer une rapide excursion du côté des femmes. Fait exceptionnel, pour la fête de pré-mariage j'ai eu le droit de filmer une danse réalisée uniquement par des femmes.


Dans les rues, chacun des 18 candidats à la présidence, dont une femme, a son poster collé sur les murs. Hamid Karzai, l'actuel président qui prépare sa réélection, domine et s'expose en bonne place sur tous les bâtiments officiels. Mais il n'est pas le seul. Le portrait de Massoud est disséminé un peu partout à travers la ville. Le "lion du Pandjshir", assassiné le 9 septembre 2001, passe ici pour un "héros national". Un monument en son honneur lui est même dédié au coeur de la ville. L'icone de Massoud a beau être reconnue par beaucoup d'Afghans, il n'en reste pas moins que le pays souffre cruellement d'unité nationale. Et l'anarchie guette... Preuve en est : 18 candidats se présentent à la présidentielle, c'est autant d'opposants.

Y aura-t-il un second tour ? La question reste en suspend et c’est la grande inquiétude de beaucoup d'observateurs internationaux et surtout celle des conseillers de Bush à la Maison Blanche. Car si Karzai, l'homme des Américains, pourtant dès à présent donné vainqueur, ne parvient pas à réunir plus de 51% des suffrages, le 2e tour des élections présidentielles devraient se tenir le 7 novembre. Une date qui n'arrange personne pour bien des raisons.

Un : G. W. Bush traine une nouveau boulet au pied en plus de l'Irak, ce qui peut lui faire perdre encore plus de crédibilité en matière de politique internationale juste avant son propre scrutin le 2 novembre.
Deux : le second tour des élections afghanes s'il y a lieu devrait se dérouler en plein ramadan, une période peu propice à l'organisation d'élections, les votants étant plus enclin à se tourner vers des valeurs spirituelles que vers celles "bassement terre à terre" de la politique. Et pourquoi pas après le ramadan ? L'hiver sera déjà bien entamé et bons nombres d'électeurs risquent de ne pouvoir réaliser leur devoir de citoyen dans ce pays très montagneux et à 80% rural.

Ambiance tendue donc à l'approche des élections. Les sbires de Hamid Karzai, l'actuel président afghan, sont sur les dents et sur les nerfs. Et gare à celui qui a la mauvaise idée de s'approcher de trop près du cortège présidentiel... Arnachés comme des Rambos, les mercenaires U.S. de la DynCorps payés pour certains US$1000 par jour (La guerre enrichit toujours ses fideles soldats !) n'hésitent pas à mettre au tapis ou à menacer d'une balle les curieux ou le clopin non accrédité... En l'air, comme sur terre, les vigies scannent la moindre menace. Les hélicoptères américains de combat Apache virevoltent au-dessus de la ville comme d'agressifs rapaces noirs (mais en beaucoup plus bruyant malheureusement !) prêts à foncer sur leur proie. Sans parler des démonstrations de force des avions militaires avec au programme vol tactique et lancement de leurres.
De leurs cotes, les soldats de l'ISAF (force de sécurité internationale déployée surtout à Kaboul et ses environs) patrouillent en ville, la mitrailleuse montée sur jeep, prête a l'emploi. Equipés de gilets pare-balles et en tenue camouflage sable, ils affichent le look "warrior", avec leur casque lourd visse sur la tête, leur larges lunettes type aviateur et leur foulard autour du cou, version "renard du désert" de l'Afrika Corps.

Quel contraste saisissant avec les silhouettes fantomatiques de ces femmes au long tchadri bleu. Une allure qui parait presque irréelle pour le commun des mortels occidental... Et pourtant, sous le poids de ce voile qui leur évite malgré tout le regard pesant des hommes, étrangement, une forme de légèreté semble parfois porter ses femmes lorsque le vent s'engouffre sous leur tissu. Mais bien heureusement, il n'y a pas que des tchadri volant à Kaboul. Beaucoup de femmes laisse tomber le voile, ne gardant juste qu'un foulard qui recouvre leur tête et leurs épaules. L'après Taliban met du temps à s'imposer et les mauvaises habitudes ont la peau dure... L'image que j'ai de Kaboul, ce n'est pas uniquement ces tchadri, mais c'est aussi tous ces gamins qui, l'insouciance au ventre et le sourire aux lèvres, jouent avec leurs cerfs-volants colorés au milieu des terrains vagues poussiéreux...

A suivre...

lundi 27 septembre 2004

Goooood morning kaboooouuuuulll....

Pour ceux qui ne le saurait pas encore, je suis parti pour travailler 6 mois à Kaboul.
Mais qu'est-ce qu'il va bien foutre là-bas ce con... vous êtes entrain de vous dire.
C'est bien simple, je suis parti pour occuper le poste de directeur adjoint et de rédacteur en chef de la 1ère agence photo afghane. Les plus curieux peuvent aller voir sur http://www.ainaphoto.org ou bien http://www.digitalrailroad.net/ainaphoto.
Ca s'annonce passionnant... A l'horizon, il y a déjà les 1ères élections présidentielles "démocratiques" prévues pour le 9 octobre prochain... Pour la suite.. Inch Allah comme on dit par chez nous!
Et en guise de 1ère carte postale, je vous livre un petit carnet de route de Paris-Kaboul avec
ci-joint quelques photos pour donner de la couleur à l'email...
Départ : Paris CDG. Jusque là, tout va bien... Direction Dubai.
Et là, wahooo... c'est le luxe, version folie des grandeurs qui nous attend à la descente de l'avion dans cette ville cosmopolite.
Il est minuit passé et tout est illuminé, toutes les boutiques et les restaurants sont ouverts.
On se croirait dans un palais des milles et une nuit version moderne... sauf que la nuit sera blanche pour nous vu que l'on doit reprendre un vol pour Kaboul vers 6h du mat'.
Mais coup de pot, ma chère et tendre super top copine Sandrine, comme d'habitude tout sourire, m'attend patiemment à l'aéroport. Et oui, elle travaille là-bas au Hilton de Dubai... siouplait!
Et nous voilà parti avec elle dans sa Pigeot automatique pour faire une ballade de Dubai by night avec en prime les commentaires du guide des tours-hotels, chacune plus luxueuses les unes que les autres... Dire qu'ici ce n'était qu'un modeste port de pêcheurs entouré par le désert il y a seulement quelques dizaines d'années. C'est là où le pouvoir d'achat de l'or noir prend toute sa dimension.
La visite nocturne terminée et le temps des adieux écoulé, reste l'attente au terminal 2...
Quelques journalistes occidentaux sont là comme nous à attendre l'enregistrement quand soudain... une marée humaine d'Indiens se déverse par vagues successives sur l'un des comptoirs voisins...
En file indienne, bien alignés, ils tiennent tous à la main le même équipement: d'un côté un petit sac de voyage et de l'autre une couette soigneusement emballée dans sa housse transparente d'origine, la "Dream night". De tout évidence, ils ont eu un prix de groupe pour leur "Dream night".
Dream night? Pas si sûr... car demain le réveil sera dur... Tous embarquent à 7h00 pour le vol de Bagdad. Et sur quelle compagnie? Phoenix... Ca ne s'invente pas!!! Et comme une surprise n'arrive jamais seule, quelques minutes après l'enregistrement des Indiens c'est au tour d'une colonne de Ricains de trimballer leur paquetage. La silhouette un peu frêle de l'Indien laisse la place à la grosse carcasse d'amerloques élevés au grain OGM, version Amerique profonde, tendance cow-boy (Une vraie caricature je vous assure).
Limite Crocodile Dundee australien pour certains avec leurs chapeaux aux bords larges. Des gueules cassées entrain de mastiquer "bovinement" un chewing gum, le regard un peu vide. C'est marrant ça ne sent pas vraiment l'ambre solaire ni l'ambiance club Med dans la file d'attente. Juste la fragrance ennivrante du billet vert que l'on veut humer comme au temps de la ruée vers l'or. Ca sent l'odeur âcre de l'aventure à plein nez.
Quant à nous... on ne va pas dire que l'on va à Kaboul la fleur au fusil mais bon, on se marre bien quand même à la vue de la saynète... Mais au fait, à quoi ressemble-t-on, nous, vu de l'autre comptoir? A des ch'tis Frenchies arrogants??? Après tout, tout est une question de point de vue...
6h45 décollage... il était temps... Côté confort, l'avion de la Kam Air pour Kaboul - ça non plus ça ne s'invente pas!!! - laisse à désirer avec son vieux coucou qui doit dater de Brejnev. Dejà, on a un brin de nostalgie pour le confort de la compagnie Emirates qui nous a amené à Dubai... Ehh 'faut bien se mettre dans le bain aussi...
Pour le petit-dejeuner, il ne faut vraiment pas être exigeant. Une pseudo petite omelette et une minuscule saucisse, toutes les deux aussi insipides l'une que l'autre... miam... mais servies sur un plateau. Petit-déjeuner infecte donc... et atterrissage brutal pendant lequel j'ai bien cru que l'on allait laisser le train d'atterrissage sur le tarmac de l'aéroport de Kaboul... Welcome to Afghanistan... +2h30 sur l'heure francaise.
Pour info, la photo le soir de la chambre... c'est chez moiiiiii... je dors sur le lit de droite!!! top confort!!!
A un de ses jours... pour de nouvelles aventures...

Khoda Hafez