Au chevet de Gamma défilent les pleureurs. Chacun versant une larme sur l'une des plus belles agences du monde, qui a vu naître des photojournalistes de légende. C'est triste. Et c'est un drame. Mais depuis des années, dix ans au moins, Gamma était une agence en danger de mort, comme ses deux sœurs, elles aussi françaises, Sygma, aujourd'hui disparue — ou dissoute ce qui revient au même — et Sipa qui toujours se bat et résiste.
Et depuis des années, des groupes de presse puissants ou de richissimes mécènes se sont succédés pour tenter de placer sous perfusion ces agences blessées, agissant comme savent le faire les groupes, c'est-à-dire en réduisant les coûts, en mutualisant les dépenses et, au bout du compte, après y avoir englouti des sommes colossales, échouant vaillamment.
Et depuis des années, tout le monde dans la profession savait qu'ils allaient échouer ; que Gamma fonçait droit dans le mur.
Dès lors, les condoléances qui, en ces jours de deuil, s'écrivent à longueurs de colonnes et se clament dans les meetings, ont des allures d'épitaphes. A les entendre, puisque tout aurait été essayé et que le sauvetage était impossible, le métier serait «foutu». C'est faux. Ce sont les méthodes, le management, les organisations, les décisions, erronées ou tardives, qui n'étaient plus adaptées à l'époque. Mais pas le métier. Certainement pas le métier qui n'a jamais été aussi vivant, multiple, prolifique, dynamique, à la portée de tous pour le meilleur comme pour le pire, et nécessitant, dans sa gestion, des méthodes nouvelles, un autre management, des organisations à inventer, des décisions à prendre, de l'audace.
Rien, c'est vrai, ne sera plus comme avant. Mais au lieu de se morfondre dans une nostalgie chevrotante, il faut admettre que, dans la photo, comme dans tous les secteurs d'activités, comme dans la vie, les temps ont changé. Définitivement. Car il s'agit bien d'une triple révolution, technologique, économique, culturelle; et, du même coup, d'une aventure d'autant plus formidable à vivre, notamment pour les jeunes photographes, qu'elle est en train de s'écrire, qu’elle libère des espaces, ouvre des champs d’expression inconnus, brise des vieux carcans et des habitudes, faisant éclater les rentes de situation comme autrefois les privilèges.
Dit-on d'un métier en pleine révolution — évolution - qu'il est foutu ? Non. Il change. Et avec quelle rapidité ! Et avec quels dégâts ! Mais aussi avec quelles fantastiques promesses si «on» arrive à accompagner son changement ! Et «on», ce sont les photographes, les journalistes, les entrepreneurs et les entreprises de presse — et non les fonds de pension ; ce sont les gens de métier qui, tout en fabriquant de nouveaux modèles économiques viables et rentables, ont à coeur de développer une ambition éditoriale, encore plus exigeante et rigoureuse en matière d'écriture photographique que les progrès vertigineux du numérique ont jeté la suspicion sur les images prises par des anonymes, diffusées à toute vitesse sur le Net, sans vérification.
Désormais, pour les photojournalistes, les agences et les magazines, il ne faut plus se contenter d'être là où ça se passe – la place est prise par Flickr, Twitter, YouTube et autres « speedy medias » - mais y aller pour vérifier; y aller avec l'idée de ce que l'on peut apporter de plus; y aller avec l'ambition de construire des récits photographiques compliqués; y aller pour raconter, montrer, décortiquer, expliquer des événements aux répercutions souvent très complexes; y aller pour être les témoins incontestables et sans parti pris d'une actualité de plus en plus techniquement manipulable.
Là est le nouveau présent et l'avenir du métier : les photos et les vidéos prises par les professionnels, au-delà de l'expérience et du talent de leurs auteurs, sont des preuves, des certificats d'authenticité, des pièces à conviction de l'Histoire.
A notre époque de bouleversements gigantesques, de terrorisme, de guerres, de crises sociales, de menaces écologiques, de grand doute, les lecteurs ont besoin de ces preuves pour voir et savoir ce qui se passe dans le monde troublé d'aujourd'hui.
Alors, puisque l'heure est aux condoléances convenues et aux grands mots, hurlons avec force et conviction aux oreilles de nos responsables politiques et de nos représentants professionnels, qui n'avaient même pas inscrit le photojournalisme au programme des Etats Généraux de la presse, hurlons sur tous les toits de tous les festivals que la photo est essentielle à l'information, à la vérité due au public, aux lecteurs, aux citoyens ; hurlons ensemble, au lieu de pleurer en choeur, que les images, comme les écrits et les paroles, et ni moins que les écrits et les paroles, sont indispensables à la démocratie.
Ce combat est notre raison d'être, avec tous ceux qui croient, dur comme fer, que le photojournalisme est un métier plein d'avenir. A une condition : l'IMAGINER. Un joli mot qui vient justement du mot IMAGE.
Alain Genestar est directeur de la publication de « Polka Magazine ».
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire