Qui ne le sait pas, l'Afghanistan produit des centaines de milliers de tonnesd'opium par an - 4200 selon le rapport 2004 des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC), soit 87 % de la production mondiale. Ce qui est sûr c'estque pour les Afghans le « Flower power » de nos aînés soixante-huitards occidentaux a une toute autre signification et un autre goût. Il sent le billet vert et l'air des montagnes de dollars facilement gagnés. A chacun son tripe. Mais si le paradis artificiel - qui se transforme vite en cauchemar - fait enparticulier tourner la tête des toxicos d'Europe, il fait aussi de plus en plus grincer des dents de planteurs de pavot afghans ces derniers temps. Les fermiers afghans ont peur de voir débarquer en pleine nuit chez eux
manu militari des
boys américains surarmés et tendus comme des arcs prêts à tirer leurs flèches.
Et la pression monte dans des régions comme le Nangarhar (est du pays à la frontière avec le Pakistan). Arrêter les fermiers et détruire leurs plantations est une chose, mais quelle alternative est proposée afin de permettre à une famille afghane de survivre quand le blé rapporte dix fois moins à l'hectare que la culture de l'opium dans un pays appauvri par vingt trois années de guerres. On parle de substituer les champs de pavot par des tapis de roses afin d'en extraire l'essence pour la commercialiser en parfumerie. D'un paradis à un autre, il n'y aurait qu'un pas mais qui semble bien loin à franchir pour l'instant.
Peur sur la ville
Si d'un côté, des commandos U.S. et Britanniques sont sur le front de la lutte anti-drogue, d'autres Américains ont pour consignes de bien se terrer dans leur compound et d'y rester enfermé comme dans un bunker. Pour preuve de la terreur qui plane au-dessus de leur tête, voici le contenu d'un email (à lire attentivement jusqu'à la fin) qui date du 25 décembre dernier, émanant du vice-consul de l'ambassade des Etats-Unis à Kaboul : « The U.S. Embassy in Kabul reminds American citizens living and traveling in Afghanistan that potential remains for attacks, particularly in the form of suicide bombings and kidnappings, against U.S. citizens and interests in Afghanistan. The Embassy is particularly concerned about the increased possibility of suicide threats in Kabul and throughout Afghanistan during the Christmas holiday season. The Embassy has received information about a specific suicide threat against foreigners in Kabul. According to the information, a Pakistani militant travelled to Kabul to conduct a suicide bombing on the road from Shah Massoud intersection to KAIA (Great Massoud Circle to the Airport) on December 25th-26th. The terrorist carries 1.5-2kg of explosives on him and has no vehicle. He plans to get in front of foreign-driven vehicles and then explode the bombs. No further information is available at this time.»
Dans la foulée, un autre email m'est parvenu par le biais d'une des nombreuses antennes des Nations Unies, qui délivre des informations « assez » ! précises : "Reports have indicated that the potential attacker (suicide bomber) is a male operating alone with approx 2 kgs of explosives attached to him. Base onreports and investigations ISAF have provided some characteristics features (non exhaustive list, and not all described features must be necessarilyaccomplished at the same time) of potential suicide attackers, which could beuseful in order to recognize a potential threat..
- 95% of suicidal attackers, (BBIED, VBIED) there was a single attacker in thevehicle.
- Wearing bulky clothing.
- Wearing sunglasses.
- Sweating, agitated.
- Elated, smiling, happy.
- Mumbling, reciting the Koran passages.
- Protecting genitals.
- Freshly shaved, short hair.
- Visibly altered appearance.
- Marking on forearms.
- Holding onto something, clenching fist.
- Wire or toggle protruding from clothing/bag.
- Cuts in clothing/bag».
Après cette énumération qui a de quoi rendre parano quiconque met les pieds dans la rue, votre humble narrateur tient tout de suite à vous rassurer : je veille àm'écarter de toute personne qui portent des lunettes de soleil en pleine journée et qui a les cheveux courts! C'est marrant, c'est à peu de chose prêt le portrait robot des mercenaires, en particulier ceux employés par la société DynCorps (cf Chroniques du 6 octobre 2004), en vadrouille en ville. Dire qu'en prime ils portent de façon bien ostentatoire leurs armes aux poings et le pistolet dans les porte-flingues.
« Jeux interdits »
Les Afghans adorent les combats en tout genre et en Afghanistan ce n'est pas ce qui manque. En un rien de temps on comprend que tout est prétexte à la bagarre. Les Afghans aiment donc se défier et se mesurer à l'autre. Ca passe autant par la lutte gréco-romaine que par les combats de cerfs-volants. Si le cerf-volantest gracieux dans sa danse aérienne, il n'en reste pas moins un instrument de jeux dangereux par les enfants eux-mêmes. Ils enduisent la ficelle d'un mélange de colle et de limaille, ce qui en fait un fil armé, paré à trancher tout ce est sur son passage comme du beurre. En premier, les cordes des autres cerfs-volants en rabattant brusquement l'oiseau de plastique sur un autre. Mais aussi d'après ce que l'on m'a dit, des têtes de personnes qui ont le malheur de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment quand les cerfs-volants entament une subite embardée suite a un coup de vent.
On ne fait pas d'omelette afghane sans casser des oeufs
Des combats il y a aussi ceux plus classiques des coqs et des petits oiseaux comme on trouve beaucoup en Asie. Mais également des o
eufs de poules. Dans la rue, ces oeufs de combat, préalablement bouillis, sont facilement reconnaissables parce que peints en rouge ou jaune pour les rendre plus attractifs dans les paniers. Ils coûtent généralement 5 afghanis pièce (moins de 0,08 euro cent). Le but dujeu, élémentaire, consiste pour deux adversaires à choisir un oeuf et à chacun à son tour de frapper l'oeuf de son adversaire. Tout repose donc sur le choix minutieux du « bon » oeuf. La partie tient donc en deux rounds. Celui qui se fait casser son oeuf paye l'addition pour les deux et le vainqueur repart avec son œuf intact et celui cassé pour le manger. Ca n'a rien de vraiment impressionnant mais cela a le mérite de beaucoup amuser les Afghans qui en sont très friands. Plus spectaculaire sans doute, sont les combats de chameaux qui se tiennent dans la région de Mazar-e-Sharif dont j'ai entendu parlés, mais auquel je n'ai pas pu assister. Du même genre, et assez brutal sont les combats de chiens (
Sag jangi, en dari) qui attirent des centaines de personnes en plein Kaboul. Et l'hiver est la saison, non pas de la chasse, mais des combats. Ils ont lieu le vendredi, jour férié pour les musulmans. Cette fois c'est dans le quartier de Shaman-e-Babrak au Nord de la capitale que les duels sont organisés.
Les Afghans sont « à crocs »
De la rue, j'aperçois une foule immense regroupée au beau milieu d'un misérable terrain vague poussiéreux. A quelques dizaines de mètres j'entends déjà les aboiements graves de ce qui m'a tout l'air de ne pas être des Yorkshire de salon et autres petits chiens à sa mémère. Un peu méfiant, impressionné mais attentif, je me rapproche de la foule, la perce et me retrouve au milieu d'une arène improvisée au milieu de laquelle se déroule le spectacle.
Là, une vingtaine de chiens costauds sont la vedette du jour. S
olidement tenues en laisse par leurs propriétaires à l'aide de larges cordes, les mastodontes canins ne demandent qu'à bondir pour choper le voisin le plus proche. La gueule large et la charpente trapue et musculeuse, ces bouledogues sont apparemment nés pour se battre. Tout autour d'eux, le public, uniquement masculin et constitué de centaines de personnes, fait le pied de grue dans l'attente du prochain match. Enroulés dans un
patou (longue pièce de tissue), turban ou
pacol (chapeau traditionnel surtout porté par les Nouristanais et les Tadjiks afghans) vissés sur la tête, longue barbe blanche ou noire de jaie, soigneusement taillée et parfois colorée au henné, la galerie de portraits des spectateurs est digne d'une superproduction hollywoodienne.
Show must go on
Au cour des rixes, le speaker, Khalail, célèbre pour l'organisation de combats de chiens, fait son show. A l'aide d'un porte-voix et de son sifflet, le vieuxbonhomme enturbanné, suivi comme un petit chien par son assistant, distille ses paroles de crieur populaire pour amuser la foule. Et en guise de distraction supplémentaire, il
fouette l'air et les gêneurs sur son passage avec son bâton, à mi-chemin entre le tue-mouche et la cravache. Comme j'essaye de coller au plus prêt de l'action, je me retrouve forcement dans lec ollimateur du père fouettard afghan,
ce qui, bien sûr, fait marrer tout le monde. Mais vu que je ne me laisse pas intimider il passe son chemin. Bon, ilfaut dire aussi qu'il m'a quémandé à plusieurs reprises de l'argent pour m'accorder le droit de prendre des photos. Je feins de ne pas comprendre cequ'il veut, même s'il frotte bien clairement sous mes yeux son pouce et son index pour me tenter de me faire cracher quelques billets. Inflexible, je joue la carte de la patience. Et le spectacle continue.
Au menu : 15 oeufs et 2 kg de barbaque par jour
Avec les propriétaires les chiens, Khalail le speaker choisit les clébards demême catégorie pour un combat, comme à la boxe. Une fois les deux chiens sélectionnés, ils sont placés l'un en face de l'autre sépare par un drap vert mis en
travers le temps de les préparer et de retirer leur harnais. Au signal, le drap est abaissé et les deux molosses bondissent l'un sur l'autre tout de go. Le premier choc frontal est violent et émet un son lourd sous les cris et les gloussements de la foule ravie. Les chiens sebattent avec hargne, jusqu' à l’épuisement, la bave et l'écume aux commissures des gueules. J'entends encore le râle de leur respiration, accélérée par l'effort et leur rage.
Sans détails, ils se chopent à la tête, aux oreilles ou encore au cou. Le sang fait parfois son apparition par petites touches comme de grosses gouttes de sueur. A y regarder de plus prêt, je remarque aussi sur la plupart des cicatrices des combats précédents sur la tête et le museau. Les yeux
révulsés, l'un des chiens reste au tapis, K.O. mais toujours solidement maintenu par son adversaire. Les propriétaires des chiens sont obligés de les séparer avec de l'eau fraîche. Et le perdant, agonisant, a le droit de s'en prendre une giclée supplémentaire, histoire desortir d'un demi coma. Les pupilles dilatées, il repart finalement au bout de quelques minutes, hagard et titubant sur ses pattes, aidé par son maître àquitter l'arène. De son côté, Chagher, le vainqueur, est portée en triomphe parson maître Jalal. Survoltée, Jalal originaire d'Istalef, un village situé à 1 heure deroute au Nord de Kaboul, lance au-dessus de lui une liasse d'Afghanis qui déclenche un mouvement de foule. L’argent et l'euphorie retombés, Jalal medit, fier comme Harpagon, que son « poulain » reste une fois de plus invaincu. Et ce matin, il aurait empoché 10 000 afghanis (près de 150 euros) avec cette nouvelle victoire grâce aux paris. Une valeur sure donc mais qui demande beaucoup d'attention. Jalal me détaille le régime alimentaire impressionnant de son molosse : pas moins de 15 oeufs par jour et 2 kg de barbaque de vache, plutôt l'intérieur et pas les meilleurs morceaux, plus chers bien évidemment.
Plutôt un chien qu'une voiture
Remplir la gamelle d'un bouledogue de combat représente malgré tout un sacré budget surtout p
our le pays. Mais ça n'empêche pas que les propriétaires tiennent à leur chiens comme à la prunelle de leurs yeux et que de s'en séparer équivaut à un immense sacrifice. Même contre une voiture japonaise me dit-on, certains refusent de l'échanger. La cote de ces bons toutoux peut monter même àplusieurs milliers de dollars. Ce qui rend d'autant plus animé les combats, que ce soit du côté
des chiens mais aussi des propriétaires. « Il faut faire attention, c'est dangereux me confie Yemak, un photographe afghan qui m'accompagne. C'est un vrai casino ici et les gens parient beaucoup d'argent. Alors ils ne rigolent pas ». Ok, je ne fais pas le malin et je prends pour argent comptant ces conseils. C'est vrai que l'on sent que l'ambiance est électrique. Lors des duels, les coachs virevoltent autour en criant, sifflant, caressant leur protéger, parfois tentant de le bousculer pour booster leur étalon, l'énerver, le relancer dans la bagarre alors qu'il est pris au collet. Et lorsqu'un propriétaire, un peu trop inquiet, tente d'interrompre u
ne partie, souvent parce que son chien est en mauvaise posture, on frise la bagarre générale. J'ai vu un propriétaire mécontent fondre sur son adversaire, ce qui a eu pour effet de déclencher l'attroupement d'une marée humaine au beau milieu de l'arène. En quelques minutes, la confusion et la pression retombe, grâce à l'intervention de policiers qui distribuent à tout va des coups de matraques, en un peu plus vif que le vieux speaker. On sépare les hommes et les bêtes et tout rentre dans l'ordre pour le prochain combat. Wouf !
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